A un moment où la garantie constitutionnelle de certaines libertés individuelles semble menacée, il est plus que jamais essentiel de souligner que ce qui fait la beauté de la Constituion suisse, c’est la manière dont les libertés sont garanties, et non comment elles sont contournées, voire allégrement bafouées. Les articles 16 à 28 de notre Constitution garantissent notamment les libertés d’opinion et d’information, la liberté des médias, celle de la langue – et celle, essentielle pour mon propos ici, de la science - celle de l’art aussi, les libertés de réunion, d’association et d’établissement, ainsi que les libertés économique et syndicale...
Les restrictions à la liberté de la science posent la question intéressante de savoir pourquoi personne ne s’en offusque aussi ouvertement, bruyamment, manifestement, qu’à la restriction de la construction de certains symboles. Comment les scientifiques peuvent-ils s’accommoder des infinies restrictions à leur libertés que leur imposent les lois pourtant sensées appliquer le cadre constitutionnel ? C’est très simples : par la restriction, eux aussi.
Les grandes découvertes sur les applications des cellules souches embryonnaires (vous avez dit embryonnaires ? mais n’est-ce pas un « vilain » mot ?) se font désormais ailleurs qu’en Suisse, et ceci quand bien même notre pays forme parmi les meilleurs chercheurs, dans ce domaine comme dans d’autres. Mais ce sont des chercheurs français, Christine Baldeschi et Marc Peschanski (INSERM et Généthon), qui ont publié fin novembre dans The Lancet qu’il est possible « d’encourager » des lignées de cellules souches embryonnaires, maintenues en culture, à produire des quantités illimitées de kératinocytes adultes, ceci grâce à des cellules nourricières qui leur envoient des signaux chimiques spécifiques induisant la différenciation kératinocytaire. Les kératinocytes, quel intérêt ? Ce sont les cellules principales de l’épiderme humain, barrière essentielle et gardien de nos fluides organiques.
Mais à quoi cela peut-il bien servir ? Application médicale immédiate : les grands brûlés. Ils sont 350 en France chaque année. Ces patients doivent pour survivre bénéficier d’ une « couverture cutanée » comme barrière physiologique antibactérienne, faute de quoi ils sont soumis à la déshydratation, aux infections et aux septicémies… Pendant des décennies, les chirurgiens et réanimateurs n'ont eu à leur disposition que les greffes prélevées de la propre peau saine des brûlés. En effet, depuis le début des années 1980, il est possible, avec un prélèvement d'épiderme de la taille d'un timbre-poste, d’obtenir en vingt-trois jours près de deux mètres carrés du propre épiderme du brûlé. La double originalité de l’idée de Baldeschi et Peschanski, c’est d’une part de générer un épiderme bourré de kératinocytes à partir de cellules souches embryonnaires qui n'expriment pas les antigènes reconnus comme étrangers par le corps, et d’autre part d’obtenir, grâce à sa lente maturation, un tissu vivant organisé que l'on pourrait stocker et fournir ad libitum aux chirurgiens pour les soins des brûlés.
En parallèle, aux Etats-Unis, les autorités médicales américaines viennent d’autoriser l'utilisation de treize nouvelles lignées de cellules souches embryonnaires humaines pour la recherche publique. lLes premières dans le cadre de la nouvelle politique décidée par la Président Obama, qui avait annoncé en mars sa décision de revenir sur l'interdiction d'effectuer des recherches sur les cellules souches embryonnaires imposée par George W. Bush en 2001, une interdiction qui se basait sur des considérants moraux et religieux. « Conformément aux réglementations, ces cellules souches sont dérivées d'embryons donnés selon un processus éthique éprouvé », précise le Dr Francis Collins, directeur du National Institute of Health (NIH). Lors de l’annonce de ce changement de politique par rapport à son illustre prédécesseur, le président Obama a notamment invoqué le potentiel des cellules souches embryonnaires à traiter des maladies telles le diabète ou la maladie de Parkinson ou encore à régénérer la moelle épinière endommagée lors d’accidents, accidents qui conduisent aujourd’hui encore à des paralysies qui devraient devenir évitables.
Et en Suisse ? Allez voir sur Google : le premeier item que vous trouverez si vous tapez « cellules souches embryonnaires » et « Suisse » vous dit que « En Suisse, la production de cellules souches embryonnaires est réglementée par la loi depuis mars 2005. » Alléluia, nous sommes saufs, c’est réglementé. Dommage pour le progrès…
Voilà qui souligne encore uen fois combien il est essentiel pour ce pays de se répéter chaque jour, en accord avec sa propre Constitution, que la liberté est mère de toutes les vertus.
Publié dans l'Agefi, le 15 décembre 2009.
mardi 15 décembre 2009
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1 commentaire:
« Voilà qui souligne encore une fois combien il est essentiel pour ce pays de se répéter chaque jour, en accord avec sa propre Constitution, que la liberté est mère de toutes les vertus. »
Ce que vous dites, mais vous en êtes sûre ?
Au nom de la « liberté » on peut faire beaucoup de choses, et même oublier que la liberté est restreinte par le bien des Autres. Ces Autres qui sont si nécessaires à mon développement humain, à ma culture, langage…. Passons !
En lisant votre article je me demande si vous êtes bien au courant de l’état actuel de la recherche sur la peau : l’importance des virus introduits par les souris (ces animaux sont riches en virus), les problèmes d’immunité liés à l’utilisation de cellules hétérologues (ici embryonnaires). D’ailleurs on pense aux problèmes engendrés par le devenir des cellules embryonnaires en culture (cellule normale ou cellule tumorale ?) d’où la non utilisation de ces cellules en thérapie humaine. Cela est bien connu, même à l’échelle mondiale. C’est pourquoi les thérapies à base de cellules embryonnaires, dont on parle depuis fort longtemps, ne sont pas encore réalisées à cause des tumeurs éventuellement engendrées ….(dans l’expérience en question il n’y a pas une durée d’expérimentation suffisante pour en décider)
L’utilisation de « cellules souches » n’est qu’une mauvaise dérive du langage, souhaitée par certaines personnes qui en utilisant ces termes peuvent laisser entendre « cellules souches embryonnaire » autant que « cellules souches adultes » sans besoin de le spécifier. C’est un abus de langage car les cellules souches adultes sont déjà utilisées depuis bien longtemps dans des thérapies humaines , ce qui est encore à l’étude avec des cellules embryonnaire !
Ce n’est pas une question de « liberté », mais, peut être, de renommée et d’argent qui est si nécessaire à toute recherche…….
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