lundi 8 mars 2010

Le bon Thomas Minder ou l'apprenti démocrate

On pourrait penser parfois, à observer notre chère Helvétie, que faire de la politique, en ce royaume de la démocratie directe, se décline en trois étapes. D'abord, faire des sondages du genre - voulez vous moins d'étrangers oui ou non ? Voulez-vous plus d'argent oui ou non ? Plus de propreté, plus de sécurité, moins de gaspillages, oui ou non ? Deuxième étape, une fois le résultat du sondage obtenu, crier devant le peuple : "moins de ceci, plus de cela, oui, vous avez raison ! Moins d'argent pour les autres et plus pour nous!" Et troisième étape, se lever, bomber le torse et le frapper, virilement bien sûr, uba uba, élisez-moi, je suis proche du peuple et je ferai ce qu'il demande !
Ainsi Monsieur Minder. Avec l'excuse bien sûr, de ne pas être politicien. Qu'à cela ne tienne, en voilà un, de politicien Helvète, un vrai : Monsieur Blocher. Voilà quelqu'un qui écoute le peuple, qui a senti avant tout le monde la magnificence de la vanne électorale ouverte par Minder, qui n'a jamais reculé devant aucune récupération, et qui ni une ni deux fait sienne cette idée magnifique qu'est le contrôle des rémunérations. Les autres ne doivent pas gagner tellement plus que moi, c'est forcément injuste, réparons - et vite! - cette injustice crasse.

Le problème de ces Messieurs réside dans leur ignorance de ce qu'est la démocratie, et de ce qu'est le rôle des politiciens. Pardonnable pour le premier, qui n'est pas un professionnel, impardonnable pour le second.
Le rôle du politicien, en démocratie, n'est pas de susciter des réponses attendues du peuple par des sondages à questions fermées puis d'appliquer dare-dare ces réponses que l'on est allé chercher au mépris de tout dialogue. Non, en démocratie, le rôle du politicien élu n'est pas d'étouffer le dialogue, mais tout au contraire, d'assumer la responsabilité d'élever ce dialogue. De l'élever par ses connaissances historiques et actuelles, ses compétences, son professionnalisme, son appréhension de la complexité des choses. Démocratie ne signifie pas poser des questions débiles au peuple puis se prévaloir du fatal "Ah, le peuple a décidé". Si le peuple estimait que c'était à lui de faire, pourquoi élirait-il des représentants et leur demanderait-il de débattre dans un Parlement? Il s'agit, pour le parlementaire, de donner forme au débat, de le nourrir de de comparaisons et de nuances.
Quand le peuple suisse vote contre les minarets, la question qui se pose alors n'est pas de savoir si le peuple a raison ou tort, car le peuple a ses raisons que la raison ne connaît pas. Non, la question qui se pose est la suivante : les politiciens ont-ils suffisamment dialogué ? Tous les tenants et les aboutissants ont-ils été pris en compte, expliqués, débattus ?

Car quoiqu'en disent tous les cours de coaching de communication et de succès télévisuels, le rôle du politicen n'est pas de simplifier à outrance. Comme le disait si justement Einstein. "One should make things as simple as possible, but not one bit simplier." Pour éviter la simplification à outrance, il faut introduire le doute dans les débats. Le doute, nourriture des sages, engrais de la pensée, richesse du dialogue, garantie de qualité. Pas le doute paralysant bien sûr, celui qui empêche de décider, qui opacifie les enjeux et prévient l'action. Non, le doute qui signe l'écoute de l'opinion de l'autre, qui sollicite cette opinion, qui l'élabore. Le doute qui conduit à chercher d'autres pistes.

L'initiative Minder plaît au peuple, les sondages le prouvent. Mais derrière les résultats de ces sondages, qu'y a-t-il vraiment? L'irrépressible désir d'une meilleure redistribution des richesses. Vieux rêve socio-communiste forcément voué à l'échec ? Ou rêve d'avant-garde d'une société plus libre, dans laquelle chacun enfin aurait accès à la liberté - une société individualiste pour le meilleur de chaque individu ? J'aurais tendance à opter pour la deuxième réponse. Dans ce cas, si les politiciens élus veulent mériter leurs lettres de noblesse, ils ne sauraient proposer des solutions simplistes dont ils savent parfaitement qu'elles ne peuvent répondre à la volonté profonde du peuple. Ils ne devraient pas non plus dissoudre la question en la repoussant après les prochaines élections par crainte que les votants ne pensent qu'ils n'ont pas été écoutés.
La question à la fois fondamentale et pratique que pose l'initiative Minder, si on y regarde de plus près, est bel et bien celle d'une meilleure distribution des richesses. Comment rendre celle-ci plus fluide, naturelle, logique ? Par un contrôle plus strict des salaires, des rémunérations et des bonus ? La réponse est-elle vraiment dans la légifération "vers le bas" ? Quelque chose me dit que non, peut-être mon atavisme libéral, ou l'observation de l'Histoire. Mais une chose est certaine, c'est que Minder pose une question brûlante. Il faut maintenant prendre cette initiative à bras le corps, comprendre pourquoi le peuple l'aime, aller débattre avec lui, partout, tous les jours, sans baster, trouver des voies plus innovantes pour donner à chacun le goût et les meilleurs moyens de cette distribution souhaitée. Ces moyens se cachent probablement davantage dans la multiplication que dans la soustraction.

Publié dans l'AGEFI, le 8 mars 2010

1 commentaire:

Pierre-Yves Bünzli a dit…

Merci Mme Polla,

Merci pour me donner un éclairage différent sur cette problématique.
Mon opinion n’est pas encore faite sur ce sujet, mais encore une fois je réalise que l’habit ne fait pas toujours le moine. Vigilence, toujours vigilence.
D’où provient l’info, quel est son objectif, à qui peut elle-bénéficier, quel serait une info, un regard alternatif.

Beaucoup de travail pour garder son mental libre !

Sincèrement

Pierre-Yves Bünzli
FreeBrainSpirit

Ni à gauche, ni à droite
The middle way
Rien n’est tout, blanc, rien n’est tout noir

Je crois en l’homme
Un incroyable potentiel à faire le bien (ou le mal)