Nicolas Gilsoul, Docteur en Sciences de l'Architecture et du Paysage, ancien pensionnaire de la Villa Medicis à Rome, vient de se voir décerner, à moins de quarante années d'âge, la médaille d'argent de l'Académie d'Architecture, qui lui sera remise au mois de juin 2010, pour son analyse architecturale et sa recherche sur l'Architecture émotionnelle. Il y a deux ans, les Quotidiennes parlaient déjà d'architecture émotionnelle, un concept développé dans les années 1950 par Mathias Goeritz, qui, dans son Manifeste pour une architecture émotionnelle (1953), écrivait : «J’ai travaillé en totale liberté pour réaliser une œuvre dont la fonction serait l’émotion : il s’agit de redonner à l’architecture son statut d’art». Un concept repris par Luis Barragan, Prix Pritzker 1980, puis largement oublié pendant près de trente ans. Nicolas Gilsoul remet les travaux de Barragan au goût du jour et en pleine lumière, avec sa thèse intitulée : L'Architecture émotionnelle au service du projet. Etude du fonctionnement des mécanismes scénographiques dans l'oeuvre de Luis Barragan entre 1940 et 1980.
Quand on lui demande de donner un exemple actuel d'architecture émotionnelle, Nicolas Gilsoul n'hésite pas un instant : Les thermes de Vals du suisse Zumthor, Prix Pritzker lui aussi. Un lieu hors du temps, hors du mouvement, hors de la matérialité de tous les jours, une construction suffisamment discrète pour ne pas imposer une façon de voir mais pour permettre à chacun de vivre avec ses propres filtres et ses propres rêves.
Les Thermes de Vals stimulent l'imaginaire, notamment parce que Zumthor fait appel à d'autres sens que le visuel : l’audition, le toucher, la kinesthétie... Le bruit de l’eau, le cliquetis métallique du portillon d'accès, l'écho, les sons étouffés; le contact du pied avec la pierre rugueuse et à travers l'eau, les volutes de vapeur qui contrastent avec le béton lisse du hammam sur lequel on se couche; pour entrer dans certaines chambres comme celle avec les pétales de fleurs qui flottent sur l'eau on est d’abord comme compressé par une porte étroite puis on se trouve dans un lieu dans lequel le plafond noir est si haut qu'il semble avoir disparu...
Mais au-delà du talent de Zumthor, comment se fait-il que l'Académie d'Architecture prime en 2010 des travaux portant sur l'architecture émotionnelle ? Las, les dieux sont fatigués. Le spectacle aussi. Même le luxe est fatigué. Le monde semble s’orienter vers une démocratie plus individualiste que populaire - une "personacratie". Valoriser l'individu, seule manière de lutter contre le poids étouffant du nombre. Etre moi-même, exister en tant que moi au milieu des autres - mais alors ce ne peut être moi et mes "choses", ces objets que je possède et qui me définissent, moi mon statut ma place et ma vie - non, c'est moi et mes émotions, ou rien. La vie nue, la seule qui vaille.
La cause est entendue : les années 2010 seront émotionnelles ou elles ne seront pas. D'autres, et pas des moindres, l'ont dit avant nous et un peu autrement, à propos du XXIème siècle...
Et les chemins du rêve se construisent aussi. Comme le dit Gilsoul à propos des jardins zen qu'il a eu l'opportunité d'étudier : "En réalité ce qui m'intéressait ce n'était pas tant les jardins, que le cheminement, la préparation."
Décerner une médaille, c'est aussi indiquer un chemin. En l'occurrence, le chemin de l'émotion, un chemin à construire.
Publié dans les Quotidiennes, le 2 mars 2010
mardi 2 mars 2010
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire