Raphaëlle Paupert-Borne et Jean Laube sont tous deux artistes. Ils vivent ensemble, ils peignent chacun de leur côté, Raphaëlle crée aussi des films et des dessins. Ils ont une petite fille, Marguerite. Marguerite souffre de mucoviscidose. Elle meurt à l’âge de six ans.
Un deuil métamorphosé
On ne fait jamais complètement le deuil d’un enfant mort. Mais certains d’entre nous savent transformer la souffrance vive, l’utiliser, la sublimer, en faire œuvre d’art, plastique ou littéraire. Ou cinématographique. Ou œuvre de vie. C’est tout cela qu’ont réussi à faire Raphaëlle Paupert-Borne et Jean Laube avec leur petite fille si vivante. Avec, absolument. Marguerite continue d’exister par et dans le travail d’artiste de ses parents. Hommage, documentaire, stratégie de survie? Rien de tout cela vraiment. Une authentique œuvre d’art réalisée à partir des films que les artistes auront pris de leur petite fille de son vivant. «Nous sommes des artistes, et cela nous a requis comme artistes». Selon Jean-Paul Fargier (Turbulences vidéo, 62, 2009), «un deuil métamorphosé en travail à portée universelle.»
C’est en tant que pensionnaire de la Villa Médicis à Rome que le couple se met au travail de montage du film. Le «matériau» utilisé par les artistes: quelques films de l’enfance, des vacances, des soins aussi. Jean Laube aimait filmer les soins à domicile : «c’était un moment particulier, raconte-t-il, les soignants venaient très tôt le matin, il y avait une lumière, une atmosphère particulières, c’était beau, délicat et intéressant, cela me donnait envie de filmer, comme on filme de beaux moments, des moments particuliers, des moments de vacance...» Comme presque tous les parents désormais filment leurs enfants, les parents de Marguerite la filmaient pour garder un souvenir, mais aussi «pour montrer à toute la famille comment tu te laisses bien soigner».
Une façon de vivre avec la maladie
Le film évoque ainsi, entre autres, une façon de vivre avec la maladie. Il nous montre comment Marguerite vivait sa vie à elle, avec sa maladie. «La maladie a des exigences très précises, il fallait absolument faire au mieux. La maladie nous a tirés vers le haut, Marguerite d’abord, qui a dû donner le meilleur d’elle-même pour survivre, qui a toujours participé aux soins - et puis nous, dans la foulée, nous aussi, nous avons été sollicités par la maladie, nous avons dû donner le meilleur de nous-mêmes, et encore aujourd’hui, cette exigence nous porte». «Nous avions un travail à faire, et ce travail lui-même nous donnait de la force. Ce fut une négociation continuelle, entre nos manières de voir l’enfance, de voir le cinéma, de voir Marguerite. A la fin, dans le film, il y a un vrai accord entre nous. Je fais confiance au film, à sa forme, sa construction, il est honnête, nous avons été scrupuleux et nous avons porté la plus grande attention à ne pas être opportunistes».
Marguerite et le Dragon (réminiscent de cette autre histoire d’enfance, Pierre et le Loup) n’est ni un documentaire, ni un travail didactique, ni un film sur la mucoviscidose. C’est l’histoire d’une vie, un film sur la vie, sa puissance et sa fragilité. Sans révolte ni amertume, même quand on entend la chanson du petit navire: Le sort tomba sur le plus jeune le sort tomba sur le plus jeune, ce sera lui lui qui sera mangé... La réalité pourtant quotidienne, lancinante des soins est contenue à quelques moments, dans le film, pour laisser place à l’apprentissage des petits gestes, de l’autonomie: on voit Marguerite sourire, on l’entend rire sur sa balançoire, «je vole!». L’enfant malade grandit, apprend, maîtrise, s’affaire, court, joue, chante sa vie ponctuée par la toux.
Un film émaillé d’images autres, la montagne, les animaux et ce personnage étrange, vêtu de rouge, qui n’est autre que Raphaëlle Paupert-Borne elle-même, qui suit de loin des moutons à l’alpage, cheval et cavalier... Selon Jean-Paul Fargier encore, quelques instants hors du temps qui deviennent par la magie du montage «éblouissants d’une lumière seule capable de faire reculer la nuit». Selon les artistes, un film «étrusque», en référence aux tombes joyeuses de cette civilisation qu’ils auront beaucoup côtoyée pendant leur séjour romain.
La mort est partie avec elle
«Pendant des années, nous avons vécu avec la mort au-dessus de nos têtes, comme une épée de Damoclès. La mort à nos côtés, tout le temps. Quand Marguerite est morte, la mort est partie avec elle, il nous reste la vie et l’art et nous sommes plus solides qu’avant. Marguerite n’est plus là mais elle est toujours là, à nous tirer vers le haut. Elle a participé à notre décision artistique de faire un film avec ces fragments de mémoire.»
En filigrane, on comprend que dans la vie, Marguerite a été accompagnée. Sans surprotection mais avec tout le respect dû à quelqu’un qui a beaucoup à vous apprendre. Comme tous les enfants... ces enfants dont Janusz Korczak dit si bien qu’ils ne sont pas des humains en devenir, mais des humains à part entière. Libres et responsables de leurs choix, de leurs propres négociations, y compris avec la maladie.
Marguerite et le Dragon sera montré dans le cadre du Panorama français du 32e festival Cinéma du Réel, au Centre Pompidou, les 19, 21 et 22 mars. Pour les artistes, «le pire, ce serait que cela reste entre nous». L’œuvre d’art participe toujours de la volonté de partage.
Janusz Korczak,
Le droit de l’enfant au respect
Janusz Korczak (Varsovie 1878 - Treblinka 1942) est à juste titre considéré comme le père spirituel des droits de l’enfant. L’homme qui a animé deux orphelinats à Varsovie, entre les deux guerres mondiales, puis dans le ghetto, a voué sa vie aux enfants qu’il accompagnera jusqu’à Treblinka, pour qu’ils ne meurent pas seuls. Oui «ses enfants» sont tous morts, et lui aussi, mais ils étaient accompagnés par lui - et donc, d’une certaine manière, protégés du pire.
Une des idées maîtresses de Korczak c’est que les enfants doivent avoir le droit d’être ce qu’ils sont, c’est-à-dire des êtres à part entière et non des être en devenir seulement. «L’enfant ne devient pas un Homme, il en est déjà un.» Une perspective qui change complètement le rapport que trop souvent nous avons avec eux, instaurant le respect et la réciprocité en lieu et place de la surprotection et de la surveillance. Relation d’égal à égal: protéger quand il le faut, oui les protéger du pire - comme nous devrions d’ailleurs nous en protéger nous-mêmes, au titre même du respect que nous nous devons à nous-mêmes - mais en laissant leur juste place aux enfants. Sans en faire ni des dieux - car comme le dit Korczak, l’enfant pur n’existe pas - ni des objets précieux, et en rejetant, recommande encore le grand homme, «notre rêve hypocrite de l’enfant parfait». Les enfants sont nos partenaires. Des partenaires autonomes et aussi solitaires que nous dans leur vie et dans leur corps. Mais ils sont aussi, ces enfants, toujours selon les mots de Korczak, «les poètes, les penseurs, les princes des sentiments». Nous avons beaucoup à apprendre des enfants, ces humains à part entière que Korczak nous appelle à reconnaître.
Janusz Korczak, Le droit de l’enfant au respect, édité chez Fabert en octobre 2009, comprend deux parties - tout d’abord les pensées de Korczak sur cette question du respect de l’enfant, puis la Convention des Nations Unies relative aux Droits de l’Enfant, une courte biographie de Korczak et une liste d’associations intéressées aux droits de l’Enfant. Un ouvrage à la fois utile et inspirant.
jeudi 25 mars 2010
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