jeudi 25 mars 2010

L'enfance de l'art télévisuel

Souvenirs from Earth-TV : la septième chaîne HD en libre accès en France. Mais surtout, la première télévision d'art. Marcus Kreiss, créateur de SFE-TV, est un pionnier, un "envoyé du futur", selon ses propres termes, qui collectionne des images trouvées sur la terre par des artistes - pour ne rien oublier de la beauté du monde. Souvenirs from Earth.

Après des études de cinéma à Rome et les Beaux-Arts à Aix en Provence, Marcus Kreiss hésite entre le cinéma et la peinture mais ne se satisfait ni de l'un ni de l'autre : le cinéma est trop lourd en termes d'infrastructure pour permettre la spontanéité du geste du peintre, quant à la peinture, si elle est mouvement dans le geste de faire, elle ne l'est plus dans le produit. Marcus Kreiss veut créer des images en mouvement, hors contrainte, avec la même liberté que celle du peintre qui peint sa toile. Se pose alors à lui la question de savoir quelle est la plate-forme logique, à la fois artistique et économique, qui puisse répondre à ce qui, pour Marcus Kreiss, est une nécessité.

La vidéo s'impose comme une évidence, et Marcus Kreiss de développer une plateforme télévisuelle pour les vidéos d'art créées par d'autres, des vidéos qui ne soient pas narratives par la voix, par l'histoire racontée, mais par l'image seule, qui fonctionnent comme des toiles animées sur des écrans plats qui prennent la position d'une toile dans les appartements, "un écran télé sur lequel l'image est si belle que l'on peut couper le son" : le "produit" doit en effet pouvoir se "consommer" tel quel, sans commentaire, sans narration. SFE-TV pose ainsi la question du contenu spécifiquement adapté au format des grands écrans plats : une expérience à la fois très physique et intime de l'image. Certains films jouent comme un peintre avec des champs de couleurs, illuminent toute la pièce, l'écran devient enfin une expérience visuelle, une peinture vivante en transformation perpétuelle. SFE-TV s'affranchit du même coup de la question de la langue : comme le disait Cocteau, le langage des peintres est le seul qui traverse le mur qui sépare les peuples. Celui de la vidéo aussi, mais il ne le savait pas...

Depuis plus de dix ans, Marcus Kreiss développe son projet, d'abord sous forme d'association, aujourd'hui sous forme de start-up. Pour la sélection de films d'artistes, dont la qualité est le pivot de l'avenir de SFE-TV, Marcus Kreiss engage un curateur chef (salarié), et huit curateurs associés, (bénévoles) qui trouvent leur compte à l'opération grâce à la visibilité que leur offre leur contribution à SFE-TV. La sélection se fait sur la base de la qualité de la vidéo et non pas sur le travail global de l'artiste. Autrement dit, tout artiste peut rentrer dans le programme même sans avoir une oeuvre signifiante derrière lui. Une approche originale elle aussi.

Le business modèle ? La cible existante d'abord : 150.000 ménages sont aujourd'hui des utilisateurs fréquents, mais la cible potentielle est évaluée à cinq millions de ménages. Des intellectuels, sortis de de HEC, des écoles normales ou d'autres grandes écoles, des hommes et des femmes d'affaires, qui regardent SFE-TV pour combler leur déficit culturel et leur manque d'images signifiantes et bénéficient du meilleur dans le domaine de la création vidéo. La cible potentielle ? Cinq millions de ménages, rapidement. La promesse ? Affranchi du formatage omniprésent sur les chaînes traditionnelles et des contraintes liées à la langue, SFE offre un laboratoire d'expérimentation très libre pour les agences de communication, qui permet de tester des concepts et des produits devant un public averti de prescripteurs, de faiseurs d'opinion et d' "early adopters". SFE-TV : ce que tout un chacun demain va mettre à la télé quand on ne veut pas regarder la télé. Les sources de financement actuelles ? Dans le droit fil de la promesse : les revues d'art haut de gamme et les publications design et mode qui ont les mêmes cibles de clientèle que SFE-TV. La structure ? Indépendante des grands groupes. La diffusion ? Depuis 2006 sur le bouquet du câble du sud ouest allemand Kabel Baden Wurtemberg, à l'époque le plus avancé pour la TV digitale, ensuite sur le réseau Unitymedia qui couvre notamment Cologne, Francfort, Düsseldorf et la Ruhr et désormais en France sur Freebox (canal 129) ainsi que sur la neufbox/SFR en HD (canal 185). Et dans le bar du Palais de Tokyo à Paris, le lieu d'art contemporain dirigé par le Suisse Marc Olivier Wahler et le plus visité en Europe où cinq grands écrans diffusent SFE en direct. Ce qui manque ? "Dans l'immédiat, selon Marcus Kreiss, une diffusion à Londres et à New York. SFE se veut une destinée internationale et universelle et à terme elle devrait servir à donner à des artistes brésiliens la possibilité d'inspirer des Ukrainiens, à des musiciens coréens de travailler avec des vidéos de Lituanie."

Et bien sûr, des annonceurs supplémentaires pour accompagner cette aventure hors du commun. Avis aux amateurs ? Allez voir... et peut-être trouverez-vous SFE-TV sur le câble suisse avant la fin de l'année.

Publié dans l'Agefi, le 25 mars 2010

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