Il entre dans la maison de Loth, indifférent et solaire. Je le regarde. Je ne suis pas le seul. En fait nous le regardons tous, nous tous qui sommes là, à attendre la fin du monde, dans la maison de Loth.
Il a les cils recourbés, c’est la première chose que je vois, des cils recourbés sur ses yeux verts, comme des fougères, comme un sous-bois, comme une forêt avec des troncs graciles. Les yeux en pleine lumière et la peau mate. Mais en même temps, je vois son corps tout entier, petit, souple et puissant, j’imagine car je ne vois pas sous sa robe et ses pantalons flous ses fesses rebondies, ses pantalons que je devine bas sur la taille. Il doit être poilu d’après ce que je vois de ses cils et de sa barbe. Un homme. Il pénètre dans mes yeux, dans mon cerveau, qui le reçoit comme une empreinte attendue, espérée, qui va s’imprimer au plus profond de mon ventre, de mon thorax, et à la racine de mon sexe. Il est ce semblable dissemblable qui correspond pixel par pixel au preprint de l’autre enfoui oublié au tréfond de moi-même.
Ils le regardent tous, leurs regards glissent de ses yeux à ses cuisses, de sa nuque à ses fesses, je vois leurs regards sur lui quand il danse, quand il bouge, et déjà la rage me prend, la rage - et pourtant, c’est la première et la dernière nuit. La nouvelle s’amplifie et s’étend comme une nappe de pétrole sur les rivages ravagés : les Villes de la Plaine seront détruites demain.
Il est beau comme un guerrier, comme ces guerriers qui portent des fleurs dans leurs cheveux, et plus les cartouches s’enroulent en ceintures concentriques autour de leurs hanches, plus ils sont fleuris. Je l’imagine au milieu de tous ces hommes, sujet élu de leur conculpissence, nu et couvert de fleurs. Sweet dirty. L’euphorie de la saleté me tord le cœur. C’est la dernière nuit. Demain nous serons tous morts et lui aussi. Je sens l’odeur de la pluie, de souffre et de feu. Vite, baiser, là, maintenant, tout de suite. Seuls au monde sous le regard des autres. Posséder. Je mets ma main sur mon sexe, je le sens, chaud, odorant de la plus âcre de ses odeurs, moelleux autour de son centre dur. Je mets ma main sur son sexe. Demain Sodome sera détruite. Posséder – vite ! Fulgurante jouissance - mais les autres désormais le veulent aussi. « Où est cet homme qui est entré chez toi ? Fais-le sortir, que nous ayons nous aussi, des relations avec lui. » Je vois monter de la terre une fumée semblable à celle d'une fournaise. L’empreinte que nos corps tout en s’aimant laisseront l’un sur l’autre sera carbonisée demain. Fossilisée.
Demain je t’offrirai des fleurs, mon amour, comme un homme offre ses douilles à un autre guerrier. Demain je te couvrirai de roses, dans les décombres de Sodome en ruine. Mais ce soir on baise. En pleine euphorie sous les yeux des hommes de Sodome. Demain nous boirons l’eau du désert. Demain nous serons morts. La mort et le désir face à face exacerbés : cette nuit on baise.
Publié dans Last Night in Sodom, Nuke Hors Série N°
3, mars 2009
vendredi 20 mars 2009
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