Paris est un roman... le titre est d'Alain Paucard. Pour Balzac, la ville aux cent mille romands. Pour Thierry Paquot, éditeur de la revue Urbanisme et membre du Laboratoire des organisations urbaines, Paris possède une épaisseur de mystère telle que le romancier est obligé de s'y perdre...
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Tribune libre de Barbara Polla
Paris est un roman
Paris est un roman… le titre est d’Alain Paucard. Pour Balzac, la ville aux cent mille romans. Pour Thierry Paquot, éditeur de la revue Urbanisme et membre du Laboratoire des organisations urbaines, Paris possède une épaisseur de mystère telle, que le romancier est obligé de s'y perdre…
Oui, comment ne pas écrire sur Paris, comment ne pas aller à Paris, comment ne pas vivre à Paris ? Paris printemps, Paris automne… Pour moi, presqu’une nécessité. Paris, laboratoire de vie, labyrinthe d’inspiration, lieu sans géographie où l’on trouve les ingrédients nécessaires pour tenter de forger un sens à l’existence. Le sens du centre, contraint par la banlieue qui encercle la ville.
Les guides de Paris sont légion. Ils nous racontent tout : les musées insolites, les restaurants, les caves, les jardins, les pierres, les hôtels, les balcons, le shopping, le luxe très cher et le luxe pas cher, les fontaines et les galeries… moi, j’aime surtout les librairies.
Il en est une, unique, dans le Marais, qui vient d’ailleurs de publier un guide de rêve, qui parle notamment des bookshops… Guide Paris est son nom. Le bookshop, c’est Ofr. Ofr ? Zéro franc : yes free, detached, and generous nous dit le guide. Chaque semaine une soirée réunit sur le trottoir de la rue du petit Thouars ce que le Marais a de plus pointu et de plus amoureux de la vie. Comme Alexandre, le frère de Marie. Marie et Alexandre : les fondateurs d’Ofr, son âme en duo. Alexandre rentre de New York, « ville d'hyponcondriaques, tout le monde y parle de ses petis bobos, tout le monde est "So sorry", que de stressés.... A leurs cotés la beauté européenne jaillit, quelle sensualité, quel amour, quelle disponibilité, quelle simplicité, quelle civilité, quelle tendresse… »
A la librairie de l’Age d’Homme, les rencontres n’ont pas lieu sur le trottoir, mais en sous-sol. Les mercredis de la rue Férou sont prisés des férus de littérature, de poussière, de piles de livres chancelantes, de Balkans et parfois de slibovitz. Pour Paucard, si Paris est un roman, l’Age d’Homme en est un autre : « Au 5, rue Férou, c’est, depuis 1982, la librairie de l’Age d’Homme, ce lieu magique, sur deux niveaux de rez de chaussée et de sous-sol, où l’édition, la librairie et les auteurs se côtoient, s’interpénètrent, fusionnent, non pas dans le désordre de l’art, mais dans un ordre reflet de la conscience qui unit ces résistants. A force de descendre la rue Férou pour aller à l’Age d’Homme, j’ai fini par considérer que la rue Férou est nôtre - une porte ouverte sur un véritable avenir. »
Une troisième adresse, la Librairie Artcurial. Très belle, très chic, installée dans un ancien hôtel particulier tout près du Grand Palais – vous pourriez hésiter à entrer – mais non, n’hésitez pas, vous y trouverez 18 000 références de l’art du 20e siècle, une aubaine au moment de la semaine d’art, quand la FIAC et Show Off sont tout près. Il y a même un rayon « livres épuisés », un luxe qui vous évitera eBay ! Et c’est ici aussi que s’est réuni en mars le jury du Prix Marcel Duchamp et qu’ont été nommés les papables 2009, Saâdane Afif, Damien Deroubaix, Nicolas Moulin et Philippe Perrot. Le nom du lauréat sera connu le 24 octobre prochain. Paris, un roman d’art, aussi !
Oui mais Paris, est-ce toujours art, lumière, roman et merveilles ?
Bien sûr que non. Il y a notamment à Paris une importante population de SDF. Alexandra Meynier, étudiante à la Haute Ecole d’Art et de Design à Genève, est allée à leur rencontre, dans le cadre d’un projet de recherche visant à comprendre quelle serait, pour eux, la ville idéale. Ceux que nous avons rencontré ensemble, au Champ de Mars, aiment Paris autant que moi, pour ses réseaux en particulier. Facile, à Paris, bien plus qu’à Londres par exemple, de trouver des vêtements ou de la nourriture. Le groupe est vite solidaire et les réseaux de bénévoles bien constitués. Mais pour dormir, non, définitivement, ils préfèrent les bancs, les parcs, à tout hébergement « social ». Dans le parc, « there’s everything you need », nous dit Edward. Edward qui vivait à Glasgow et qui un jour, considérant sa vie, s’est dit : « si je ne change rien, je vais passer le reste de ma vie devant la télévision ». Il est parti. Barcelone, Nice, Paris enfin, à pied. Il vit d’argent trouvé : « tant de gens perdent des pièces et ne se préoccupent pas de les retrouver ». SDF : un rôle, une vie, que Edward a choisis ? « You get used to it. »
« Je suis devenu un observateur de la vie, » dit-il encore.
Presque un romancier. Pas un naufragé en tous cas.
Mais ils sont là aussi, les naufragés de la vie, à Paris comme ailleurs. Paris n’est pas un roman.
Libre livre : Patrick Declerck, Les naufragés.
Avec les clochards de Paris (2002).
Patrick Declerck, psychanalyste, docteur en anthropologie, a suivi la population des clochards de Paris, durant plus de quinze ans, dans la rue, dans les gares, au Centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre. Le livre commence par une plongée en immersion : le psychanalyste se mêle aux clochards, non pas comme thérapeute, mais comme l’un d’entre eux. La trouille au ventre. « Qui sont-ils, ces êtres étranges aux visages ravagés ? Ces exilés qui nous côtoient, qui dérangent notre regard et suscitent nos fantasmes ? On parle de choix. La réalité est autre. »
Aucune complaisance chez Declerck, ni du côté de la détresse humaine, ni du côté de l’histoire racontée. Clinique, critique, athée et nietzschéen, il raconte une réalité qu’il est bon de connaître. Parce qu’elle est réalité. « J’ai suivi les clochards dans la rue, je les ai côtoyés ivres, vociférant ou comateux d’alcool, hagards de rage et d’impuissance. Je les ai vus obscènes, incontinents, effondrés, braguette ouverte… Je pense en avoir soulagé plusieurs. Je sais n’en avoir guéri aucun. »
Pendant toutes ces années, il n’a observé aucun cas de réinsertion, de re-socialisation durable. Selon lui, la pathologie psychiatrique des clochards s’ancre sur une souffrance si forte qu’elle vide le sujet de lui-même. La clinique des clochards est une litanie d’épanchements métaphoriques et littéraux – logorrhées et diarrhées – et d’actes manqués qui conduisent le sujet à s’autodétruire régulièrement. Selon Vincent Denis, que je rejoins, le livre ne cherche pas à éviter la crudité – ici, l’autre nom de la vérité – de ceux que nous ne voulons pas voir, sans pour autant tomber dans les travers louches du voyeurisme. Nous lecteurs en sortons ébranlés, comme après toute exploration des limites humaines, alors que l’engagement à la fois personnel et intellectuel de l’auteur nous conduit à des questionnements rarement abordés à propos des clochards et des exclus et de notre relation à eux, dominée par la peur et le rejet.
En conclusion, Patrick Declerck nous indique quelques pistes avec la plus grande modestie,: « Révérons les fous. Ils ont osé plus que nous. Sachons veiller sur ces splendeurs détruites que nous avons l’honneur de soigner. » Tout au long du livre, cette ambiguïté fondamentale nous touche au plus profond : l’admiration de Declerck pour ces épaves humaines, pour la dignité farouche qui est la leur, envers et contre tout.
Peut-être que ce livre ne pouvait s’écrire qu’à Paris, parce qu’il n’est qu’en France que la sensibilité sociale est autant « pensée ».
Publié dans l'Extension, édition d'Octobre 2009.
jeudi 15 octobre 2009
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