Elle repousse le genre féminin jusque dans ses extrémités. Oserait-on écrivaine au lieu d'écrivain? Entrepreneuse au lieu d'entrepreneur? Quant aux mots médecin ou chercheur, eux restent imperturbables sur un CV, qu'on exerce aux HUG, à Harward ou à la Faculté Cochin comme directeur de recherche à l'INSERN. Au moins, le terme galeriste n'affiche pas d'emblée son appartenance. Quant au champ politique, il est un ring.... Lire la suite.
Publié dans TagàPress le 31 mars 2010
mercredi 31 mars 2010
jeudi 25 mars 2010
L'enfance de l'art télévisuel
Souvenirs from Earth-TV : la septième chaîne HD en libre accès en France. Mais surtout, la première télévision d'art. Marcus Kreiss, créateur de SFE-TV, est un pionnier, un "envoyé du futur", selon ses propres termes, qui collectionne des images trouvées sur la terre par des artistes - pour ne rien oublier de la beauté du monde. Souvenirs from Earth.
Après des études de cinéma à Rome et les Beaux-Arts à Aix en Provence, Marcus Kreiss hésite entre le cinéma et la peinture mais ne se satisfait ni de l'un ni de l'autre : le cinéma est trop lourd en termes d'infrastructure pour permettre la spontanéité du geste du peintre, quant à la peinture, si elle est mouvement dans le geste de faire, elle ne l'est plus dans le produit. Marcus Kreiss veut créer des images en mouvement, hors contrainte, avec la même liberté que celle du peintre qui peint sa toile. Se pose alors à lui la question de savoir quelle est la plate-forme logique, à la fois artistique et économique, qui puisse répondre à ce qui, pour Marcus Kreiss, est une nécessité.
La vidéo s'impose comme une évidence, et Marcus Kreiss de développer une plateforme télévisuelle pour les vidéos d'art créées par d'autres, des vidéos qui ne soient pas narratives par la voix, par l'histoire racontée, mais par l'image seule, qui fonctionnent comme des toiles animées sur des écrans plats qui prennent la position d'une toile dans les appartements, "un écran télé sur lequel l'image est si belle que l'on peut couper le son" : le "produit" doit en effet pouvoir se "consommer" tel quel, sans commentaire, sans narration. SFE-TV pose ainsi la question du contenu spécifiquement adapté au format des grands écrans plats : une expérience à la fois très physique et intime de l'image. Certains films jouent comme un peintre avec des champs de couleurs, illuminent toute la pièce, l'écran devient enfin une expérience visuelle, une peinture vivante en transformation perpétuelle. SFE-TV s'affranchit du même coup de la question de la langue : comme le disait Cocteau, le langage des peintres est le seul qui traverse le mur qui sépare les peuples. Celui de la vidéo aussi, mais il ne le savait pas...
Depuis plus de dix ans, Marcus Kreiss développe son projet, d'abord sous forme d'association, aujourd'hui sous forme de start-up. Pour la sélection de films d'artistes, dont la qualité est le pivot de l'avenir de SFE-TV, Marcus Kreiss engage un curateur chef (salarié), et huit curateurs associés, (bénévoles) qui trouvent leur compte à l'opération grâce à la visibilité que leur offre leur contribution à SFE-TV. La sélection se fait sur la base de la qualité de la vidéo et non pas sur le travail global de l'artiste. Autrement dit, tout artiste peut rentrer dans le programme même sans avoir une oeuvre signifiante derrière lui. Une approche originale elle aussi.
Le business modèle ? La cible existante d'abord : 150.000 ménages sont aujourd'hui des utilisateurs fréquents, mais la cible potentielle est évaluée à cinq millions de ménages. Des intellectuels, sortis de de HEC, des écoles normales ou d'autres grandes écoles, des hommes et des femmes d'affaires, qui regardent SFE-TV pour combler leur déficit culturel et leur manque d'images signifiantes et bénéficient du meilleur dans le domaine de la création vidéo. La cible potentielle ? Cinq millions de ménages, rapidement. La promesse ? Affranchi du formatage omniprésent sur les chaînes traditionnelles et des contraintes liées à la langue, SFE offre un laboratoire d'expérimentation très libre pour les agences de communication, qui permet de tester des concepts et des produits devant un public averti de prescripteurs, de faiseurs d'opinion et d' "early adopters". SFE-TV : ce que tout un chacun demain va mettre à la télé quand on ne veut pas regarder la télé. Les sources de financement actuelles ? Dans le droit fil de la promesse : les revues d'art haut de gamme et les publications design et mode qui ont les mêmes cibles de clientèle que SFE-TV. La structure ? Indépendante des grands groupes. La diffusion ? Depuis 2006 sur le bouquet du câble du sud ouest allemand Kabel Baden Wurtemberg, à l'époque le plus avancé pour la TV digitale, ensuite sur le réseau Unitymedia qui couvre notamment Cologne, Francfort, Düsseldorf et la Ruhr et désormais en France sur Freebox (canal 129) ainsi que sur la neufbox/SFR en HD (canal 185). Et dans le bar du Palais de Tokyo à Paris, le lieu d'art contemporain dirigé par le Suisse Marc Olivier Wahler et le plus visité en Europe où cinq grands écrans diffusent SFE en direct. Ce qui manque ? "Dans l'immédiat, selon Marcus Kreiss, une diffusion à Londres et à New York. SFE se veut une destinée internationale et universelle et à terme elle devrait servir à donner à des artistes brésiliens la possibilité d'inspirer des Ukrainiens, à des musiciens coréens de travailler avec des vidéos de Lituanie."
Et bien sûr, des annonceurs supplémentaires pour accompagner cette aventure hors du commun. Avis aux amateurs ? Allez voir... et peut-être trouverez-vous SFE-TV sur le câble suisse avant la fin de l'année.
Publié dans l'Agefi, le 25 mars 2010
Après des études de cinéma à Rome et les Beaux-Arts à Aix en Provence, Marcus Kreiss hésite entre le cinéma et la peinture mais ne se satisfait ni de l'un ni de l'autre : le cinéma est trop lourd en termes d'infrastructure pour permettre la spontanéité du geste du peintre, quant à la peinture, si elle est mouvement dans le geste de faire, elle ne l'est plus dans le produit. Marcus Kreiss veut créer des images en mouvement, hors contrainte, avec la même liberté que celle du peintre qui peint sa toile. Se pose alors à lui la question de savoir quelle est la plate-forme logique, à la fois artistique et économique, qui puisse répondre à ce qui, pour Marcus Kreiss, est une nécessité.
La vidéo s'impose comme une évidence, et Marcus Kreiss de développer une plateforme télévisuelle pour les vidéos d'art créées par d'autres, des vidéos qui ne soient pas narratives par la voix, par l'histoire racontée, mais par l'image seule, qui fonctionnent comme des toiles animées sur des écrans plats qui prennent la position d'une toile dans les appartements, "un écran télé sur lequel l'image est si belle que l'on peut couper le son" : le "produit" doit en effet pouvoir se "consommer" tel quel, sans commentaire, sans narration. SFE-TV pose ainsi la question du contenu spécifiquement adapté au format des grands écrans plats : une expérience à la fois très physique et intime de l'image. Certains films jouent comme un peintre avec des champs de couleurs, illuminent toute la pièce, l'écran devient enfin une expérience visuelle, une peinture vivante en transformation perpétuelle. SFE-TV s'affranchit du même coup de la question de la langue : comme le disait Cocteau, le langage des peintres est le seul qui traverse le mur qui sépare les peuples. Celui de la vidéo aussi, mais il ne le savait pas...
Depuis plus de dix ans, Marcus Kreiss développe son projet, d'abord sous forme d'association, aujourd'hui sous forme de start-up. Pour la sélection de films d'artistes, dont la qualité est le pivot de l'avenir de SFE-TV, Marcus Kreiss engage un curateur chef (salarié), et huit curateurs associés, (bénévoles) qui trouvent leur compte à l'opération grâce à la visibilité que leur offre leur contribution à SFE-TV. La sélection se fait sur la base de la qualité de la vidéo et non pas sur le travail global de l'artiste. Autrement dit, tout artiste peut rentrer dans le programme même sans avoir une oeuvre signifiante derrière lui. Une approche originale elle aussi.
Le business modèle ? La cible existante d'abord : 150.000 ménages sont aujourd'hui des utilisateurs fréquents, mais la cible potentielle est évaluée à cinq millions de ménages. Des intellectuels, sortis de de HEC, des écoles normales ou d'autres grandes écoles, des hommes et des femmes d'affaires, qui regardent SFE-TV pour combler leur déficit culturel et leur manque d'images signifiantes et bénéficient du meilleur dans le domaine de la création vidéo. La cible potentielle ? Cinq millions de ménages, rapidement. La promesse ? Affranchi du formatage omniprésent sur les chaînes traditionnelles et des contraintes liées à la langue, SFE offre un laboratoire d'expérimentation très libre pour les agences de communication, qui permet de tester des concepts et des produits devant un public averti de prescripteurs, de faiseurs d'opinion et d' "early adopters". SFE-TV : ce que tout un chacun demain va mettre à la télé quand on ne veut pas regarder la télé. Les sources de financement actuelles ? Dans le droit fil de la promesse : les revues d'art haut de gamme et les publications design et mode qui ont les mêmes cibles de clientèle que SFE-TV. La structure ? Indépendante des grands groupes. La diffusion ? Depuis 2006 sur le bouquet du câble du sud ouest allemand Kabel Baden Wurtemberg, à l'époque le plus avancé pour la TV digitale, ensuite sur le réseau Unitymedia qui couvre notamment Cologne, Francfort, Düsseldorf et la Ruhr et désormais en France sur Freebox (canal 129) ainsi que sur la neufbox/SFR en HD (canal 185). Et dans le bar du Palais de Tokyo à Paris, le lieu d'art contemporain dirigé par le Suisse Marc Olivier Wahler et le plus visité en Europe où cinq grands écrans diffusent SFE en direct. Ce qui manque ? "Dans l'immédiat, selon Marcus Kreiss, une diffusion à Londres et à New York. SFE se veut une destinée internationale et universelle et à terme elle devrait servir à donner à des artistes brésiliens la possibilité d'inspirer des Ukrainiens, à des musiciens coréens de travailler avec des vidéos de Lituanie."
Et bien sûr, des annonceurs supplémentaires pour accompagner cette aventure hors du commun. Avis aux amateurs ? Allez voir... et peut-être trouverez-vous SFE-TV sur le câble suisse avant la fin de l'année.
Publié dans l'Agefi, le 25 mars 2010
Vous cherchez Barbara, encore ?
Je suis à Milan, pour MiART, la foire d'art du printemps, où la galerie Analix Forever présente une exposition Arte di Moda, en hommage à la capitale italienne de la mode, qui est aussi capitale culturelle, artistique et intellectuelle. Mise en évidence des interfaces entre art et mode, dans une perspective d'inspiration et d'expansion, d'hybridation productive, d'insémination réciproque et de métissage des pratiques. Une perspective résolument contemporaine selon les définitions mêmes de Giorgio Agamben, aussi bien ludique et joyeuse que profondément inquiète devant le temps. Le temps de la mode, le temps de l'art : deux temporalités distinctes qui se croisent constamment à Milan.
Avec Stefano ARIENTI, Mat COLLISHAW, Pascal GAUTRAND, Marie HENDRIKS, Ali KAZMA, Andrea MASTROVITO, Frank PERRIN, Matt SAUNDERS, Zoë SHEEHAN-SALDANA, Ornela VORPSI et Patrick WEIDMANN qui tous incarnent, d’une manière ou d’une autre, les liens pluriels entre art et mode, au gré de photographies, tissus, vidéos, peintures, coutures et découpages.
Avec Stefano ARIENTI, Mat COLLISHAW, Pascal GAUTRAND, Marie HENDRIKS, Ali KAZMA, Andrea MASTROVITO, Frank PERRIN, Matt SAUNDERS, Zoë SHEEHAN-SALDANA, Ornela VORPSI et Patrick WEIDMANN qui tous incarnent, d’une manière ou d’une autre, les liens pluriels entre art et mode, au gré de photographies, tissus, vidéos, peintures, coutures et découpages.
- Le jeudi soir 25 mars, lors du vernissage, Frank Perrin (photographe et créateur artistique dumagazine Crash) présentera un hommage photographique et sonore à Alexander McQueen.
- Le vendredi 26 mars, Arte di Moda, accueillera toute la journée le designer de mode Pascal Gautrand et sa machine à coudre pour une performance intitulée Fabbrica di moda associant pixel et couture, pour recomposer en live les icônes de la mode italienne.
- Le samedi 27 mars à 17h, conversation entre Luca Missoni et Barbara Polla, sur les rapports entre art et mode, tels que les conçoit le designer italien. Modération : Gianni Romano.
- Le dimanche 28 mars, de 11h30 à 12h30, présentation de Arte di Moda au Professeur Antonio Santangelo et à ses étudiants (Università San Raffaele).
- Le lundi 29 mars, Life Jacket Debut : Zoë Sheehan Saldaña habille Barbara Polla. Sauve qui peut !
Marguerite et le Dragon, un film, une vie
Raphaëlle Paupert-Borne et Jean Laube sont tous deux artistes. Ils vivent ensemble, ils peignent chacun de leur côté, Raphaëlle crée aussi des films et des dessins. Ils ont une petite fille, Marguerite. Marguerite souffre de mucoviscidose. Elle meurt à l’âge de six ans.
Un deuil métamorphosé
On ne fait jamais complètement le deuil d’un enfant mort. Mais certains d’entre nous savent transformer la souffrance vive, l’utiliser, la sublimer, en faire œuvre d’art, plastique ou littéraire. Ou cinématographique. Ou œuvre de vie. C’est tout cela qu’ont réussi à faire Raphaëlle Paupert-Borne et Jean Laube avec leur petite fille si vivante. Avec, absolument. Marguerite continue d’exister par et dans le travail d’artiste de ses parents. Hommage, documentaire, stratégie de survie? Rien de tout cela vraiment. Une authentique œuvre d’art réalisée à partir des films que les artistes auront pris de leur petite fille de son vivant. «Nous sommes des artistes, et cela nous a requis comme artistes». Selon Jean-Paul Fargier (Turbulences vidéo, 62, 2009), «un deuil métamorphosé en travail à portée universelle.»
C’est en tant que pensionnaire de la Villa Médicis à Rome que le couple se met au travail de montage du film. Le «matériau» utilisé par les artistes: quelques films de l’enfance, des vacances, des soins aussi. Jean Laube aimait filmer les soins à domicile : «c’était un moment particulier, raconte-t-il, les soignants venaient très tôt le matin, il y avait une lumière, une atmosphère particulières, c’était beau, délicat et intéressant, cela me donnait envie de filmer, comme on filme de beaux moments, des moments particuliers, des moments de vacance...» Comme presque tous les parents désormais filment leurs enfants, les parents de Marguerite la filmaient pour garder un souvenir, mais aussi «pour montrer à toute la famille comment tu te laisses bien soigner».
Une façon de vivre avec la maladie
Le film évoque ainsi, entre autres, une façon de vivre avec la maladie. Il nous montre comment Marguerite vivait sa vie à elle, avec sa maladie. «La maladie a des exigences très précises, il fallait absolument faire au mieux. La maladie nous a tirés vers le haut, Marguerite d’abord, qui a dû donner le meilleur d’elle-même pour survivre, qui a toujours participé aux soins - et puis nous, dans la foulée, nous aussi, nous avons été sollicités par la maladie, nous avons dû donner le meilleur de nous-mêmes, et encore aujourd’hui, cette exigence nous porte». «Nous avions un travail à faire, et ce travail lui-même nous donnait de la force. Ce fut une négociation continuelle, entre nos manières de voir l’enfance, de voir le cinéma, de voir Marguerite. A la fin, dans le film, il y a un vrai accord entre nous. Je fais confiance au film, à sa forme, sa construction, il est honnête, nous avons été scrupuleux et nous avons porté la plus grande attention à ne pas être opportunistes».
Marguerite et le Dragon (réminiscent de cette autre histoire d’enfance, Pierre et le Loup) n’est ni un documentaire, ni un travail didactique, ni un film sur la mucoviscidose. C’est l’histoire d’une vie, un film sur la vie, sa puissance et sa fragilité. Sans révolte ni amertume, même quand on entend la chanson du petit navire: Le sort tomba sur le plus jeune le sort tomba sur le plus jeune, ce sera lui lui qui sera mangé... La réalité pourtant quotidienne, lancinante des soins est contenue à quelques moments, dans le film, pour laisser place à l’apprentissage des petits gestes, de l’autonomie: on voit Marguerite sourire, on l’entend rire sur sa balançoire, «je vole!». L’enfant malade grandit, apprend, maîtrise, s’affaire, court, joue, chante sa vie ponctuée par la toux.
Un film émaillé d’images autres, la montagne, les animaux et ce personnage étrange, vêtu de rouge, qui n’est autre que Raphaëlle Paupert-Borne elle-même, qui suit de loin des moutons à l’alpage, cheval et cavalier... Selon Jean-Paul Fargier encore, quelques instants hors du temps qui deviennent par la magie du montage «éblouissants d’une lumière seule capable de faire reculer la nuit». Selon les artistes, un film «étrusque», en référence aux tombes joyeuses de cette civilisation qu’ils auront beaucoup côtoyée pendant leur séjour romain.
La mort est partie avec elle
«Pendant des années, nous avons vécu avec la mort au-dessus de nos têtes, comme une épée de Damoclès. La mort à nos côtés, tout le temps. Quand Marguerite est morte, la mort est partie avec elle, il nous reste la vie et l’art et nous sommes plus solides qu’avant. Marguerite n’est plus là mais elle est toujours là, à nous tirer vers le haut. Elle a participé à notre décision artistique de faire un film avec ces fragments de mémoire.»
En filigrane, on comprend que dans la vie, Marguerite a été accompagnée. Sans surprotection mais avec tout le respect dû à quelqu’un qui a beaucoup à vous apprendre. Comme tous les enfants... ces enfants dont Janusz Korczak dit si bien qu’ils ne sont pas des humains en devenir, mais des humains à part entière. Libres et responsables de leurs choix, de leurs propres négociations, y compris avec la maladie.
Marguerite et le Dragon sera montré dans le cadre du Panorama français du 32e festival Cinéma du Réel, au Centre Pompidou, les 19, 21 et 22 mars. Pour les artistes, «le pire, ce serait que cela reste entre nous». L’œuvre d’art participe toujours de la volonté de partage.
Janusz Korczak,
Le droit de l’enfant au respect
Janusz Korczak (Varsovie 1878 - Treblinka 1942) est à juste titre considéré comme le père spirituel des droits de l’enfant. L’homme qui a animé deux orphelinats à Varsovie, entre les deux guerres mondiales, puis dans le ghetto, a voué sa vie aux enfants qu’il accompagnera jusqu’à Treblinka, pour qu’ils ne meurent pas seuls. Oui «ses enfants» sont tous morts, et lui aussi, mais ils étaient accompagnés par lui - et donc, d’une certaine manière, protégés du pire.
Une des idées maîtresses de Korczak c’est que les enfants doivent avoir le droit d’être ce qu’ils sont, c’est-à-dire des êtres à part entière et non des être en devenir seulement. «L’enfant ne devient pas un Homme, il en est déjà un.» Une perspective qui change complètement le rapport que trop souvent nous avons avec eux, instaurant le respect et la réciprocité en lieu et place de la surprotection et de la surveillance. Relation d’égal à égal: protéger quand il le faut, oui les protéger du pire - comme nous devrions d’ailleurs nous en protéger nous-mêmes, au titre même du respect que nous nous devons à nous-mêmes - mais en laissant leur juste place aux enfants. Sans en faire ni des dieux - car comme le dit Korczak, l’enfant pur n’existe pas - ni des objets précieux, et en rejetant, recommande encore le grand homme, «notre rêve hypocrite de l’enfant parfait». Les enfants sont nos partenaires. Des partenaires autonomes et aussi solitaires que nous dans leur vie et dans leur corps. Mais ils sont aussi, ces enfants, toujours selon les mots de Korczak, «les poètes, les penseurs, les princes des sentiments». Nous avons beaucoup à apprendre des enfants, ces humains à part entière que Korczak nous appelle à reconnaître.
Janusz Korczak, Le droit de l’enfant au respect, édité chez Fabert en octobre 2009, comprend deux parties - tout d’abord les pensées de Korczak sur cette question du respect de l’enfant, puis la Convention des Nations Unies relative aux Droits de l’Enfant, une courte biographie de Korczak et une liste d’associations intéressées aux droits de l’Enfant. Un ouvrage à la fois utile et inspirant.
Un deuil métamorphosé
On ne fait jamais complètement le deuil d’un enfant mort. Mais certains d’entre nous savent transformer la souffrance vive, l’utiliser, la sublimer, en faire œuvre d’art, plastique ou littéraire. Ou cinématographique. Ou œuvre de vie. C’est tout cela qu’ont réussi à faire Raphaëlle Paupert-Borne et Jean Laube avec leur petite fille si vivante. Avec, absolument. Marguerite continue d’exister par et dans le travail d’artiste de ses parents. Hommage, documentaire, stratégie de survie? Rien de tout cela vraiment. Une authentique œuvre d’art réalisée à partir des films que les artistes auront pris de leur petite fille de son vivant. «Nous sommes des artistes, et cela nous a requis comme artistes». Selon Jean-Paul Fargier (Turbulences vidéo, 62, 2009), «un deuil métamorphosé en travail à portée universelle.»
C’est en tant que pensionnaire de la Villa Médicis à Rome que le couple se met au travail de montage du film. Le «matériau» utilisé par les artistes: quelques films de l’enfance, des vacances, des soins aussi. Jean Laube aimait filmer les soins à domicile : «c’était un moment particulier, raconte-t-il, les soignants venaient très tôt le matin, il y avait une lumière, une atmosphère particulières, c’était beau, délicat et intéressant, cela me donnait envie de filmer, comme on filme de beaux moments, des moments particuliers, des moments de vacance...» Comme presque tous les parents désormais filment leurs enfants, les parents de Marguerite la filmaient pour garder un souvenir, mais aussi «pour montrer à toute la famille comment tu te laisses bien soigner».
Une façon de vivre avec la maladie
Le film évoque ainsi, entre autres, une façon de vivre avec la maladie. Il nous montre comment Marguerite vivait sa vie à elle, avec sa maladie. «La maladie a des exigences très précises, il fallait absolument faire au mieux. La maladie nous a tirés vers le haut, Marguerite d’abord, qui a dû donner le meilleur d’elle-même pour survivre, qui a toujours participé aux soins - et puis nous, dans la foulée, nous aussi, nous avons été sollicités par la maladie, nous avons dû donner le meilleur de nous-mêmes, et encore aujourd’hui, cette exigence nous porte». «Nous avions un travail à faire, et ce travail lui-même nous donnait de la force. Ce fut une négociation continuelle, entre nos manières de voir l’enfance, de voir le cinéma, de voir Marguerite. A la fin, dans le film, il y a un vrai accord entre nous. Je fais confiance au film, à sa forme, sa construction, il est honnête, nous avons été scrupuleux et nous avons porté la plus grande attention à ne pas être opportunistes».
Marguerite et le Dragon (réminiscent de cette autre histoire d’enfance, Pierre et le Loup) n’est ni un documentaire, ni un travail didactique, ni un film sur la mucoviscidose. C’est l’histoire d’une vie, un film sur la vie, sa puissance et sa fragilité. Sans révolte ni amertume, même quand on entend la chanson du petit navire: Le sort tomba sur le plus jeune le sort tomba sur le plus jeune, ce sera lui lui qui sera mangé... La réalité pourtant quotidienne, lancinante des soins est contenue à quelques moments, dans le film, pour laisser place à l’apprentissage des petits gestes, de l’autonomie: on voit Marguerite sourire, on l’entend rire sur sa balançoire, «je vole!». L’enfant malade grandit, apprend, maîtrise, s’affaire, court, joue, chante sa vie ponctuée par la toux.
Un film émaillé d’images autres, la montagne, les animaux et ce personnage étrange, vêtu de rouge, qui n’est autre que Raphaëlle Paupert-Borne elle-même, qui suit de loin des moutons à l’alpage, cheval et cavalier... Selon Jean-Paul Fargier encore, quelques instants hors du temps qui deviennent par la magie du montage «éblouissants d’une lumière seule capable de faire reculer la nuit». Selon les artistes, un film «étrusque», en référence aux tombes joyeuses de cette civilisation qu’ils auront beaucoup côtoyée pendant leur séjour romain.
La mort est partie avec elle
«Pendant des années, nous avons vécu avec la mort au-dessus de nos têtes, comme une épée de Damoclès. La mort à nos côtés, tout le temps. Quand Marguerite est morte, la mort est partie avec elle, il nous reste la vie et l’art et nous sommes plus solides qu’avant. Marguerite n’est plus là mais elle est toujours là, à nous tirer vers le haut. Elle a participé à notre décision artistique de faire un film avec ces fragments de mémoire.»
En filigrane, on comprend que dans la vie, Marguerite a été accompagnée. Sans surprotection mais avec tout le respect dû à quelqu’un qui a beaucoup à vous apprendre. Comme tous les enfants... ces enfants dont Janusz Korczak dit si bien qu’ils ne sont pas des humains en devenir, mais des humains à part entière. Libres et responsables de leurs choix, de leurs propres négociations, y compris avec la maladie.
Marguerite et le Dragon sera montré dans le cadre du Panorama français du 32e festival Cinéma du Réel, au Centre Pompidou, les 19, 21 et 22 mars. Pour les artistes, «le pire, ce serait que cela reste entre nous». L’œuvre d’art participe toujours de la volonté de partage.
Janusz Korczak,
Le droit de l’enfant au respect
Janusz Korczak (Varsovie 1878 - Treblinka 1942) est à juste titre considéré comme le père spirituel des droits de l’enfant. L’homme qui a animé deux orphelinats à Varsovie, entre les deux guerres mondiales, puis dans le ghetto, a voué sa vie aux enfants qu’il accompagnera jusqu’à Treblinka, pour qu’ils ne meurent pas seuls. Oui «ses enfants» sont tous morts, et lui aussi, mais ils étaient accompagnés par lui - et donc, d’une certaine manière, protégés du pire.
Une des idées maîtresses de Korczak c’est que les enfants doivent avoir le droit d’être ce qu’ils sont, c’est-à-dire des êtres à part entière et non des être en devenir seulement. «L’enfant ne devient pas un Homme, il en est déjà un.» Une perspective qui change complètement le rapport que trop souvent nous avons avec eux, instaurant le respect et la réciprocité en lieu et place de la surprotection et de la surveillance. Relation d’égal à égal: protéger quand il le faut, oui les protéger du pire - comme nous devrions d’ailleurs nous en protéger nous-mêmes, au titre même du respect que nous nous devons à nous-mêmes - mais en laissant leur juste place aux enfants. Sans en faire ni des dieux - car comme le dit Korczak, l’enfant pur n’existe pas - ni des objets précieux, et en rejetant, recommande encore le grand homme, «notre rêve hypocrite de l’enfant parfait». Les enfants sont nos partenaires. Des partenaires autonomes et aussi solitaires que nous dans leur vie et dans leur corps. Mais ils sont aussi, ces enfants, toujours selon les mots de Korczak, «les poètes, les penseurs, les princes des sentiments». Nous avons beaucoup à apprendre des enfants, ces humains à part entière que Korczak nous appelle à reconnaître.
Janusz Korczak, Le droit de l’enfant au respect, édité chez Fabert en octobre 2009, comprend deux parties - tout d’abord les pensées de Korczak sur cette question du respect de l’enfant, puis la Convention des Nations Unies relative aux Droits de l’Enfant, une courte biographie de Korczak et une liste d’associations intéressées aux droits de l’Enfant. Un ouvrage à la fois utile et inspirant.
mercredi 24 mars 2010
L'architecture, mortelle utopie
L'architecture, nous dit Philippe Rahm, lors d'une époustouflante conférence organisée le 17 mars à Genève par la HEAD, apparaît quand Eve et Adam quittent le paradis. Il est vrai que le paradis n'a pas d'architecture. Et voici que l'architecte s'intéresse à la mort : retour au paradis ? Pas certain. Philippe Rahm, le poète qui veut réinventer le langage architectural, se passionne pour l'émotion spatiale dans l'art et l'architecture contemporains, la microarchitecture, la météorologie intérieure (imaginez vivre dans un bâtiment évaporé par le Gulf Stream...) et dans la foulée nous propose une architecture spirituelle, permettant, par l'abaissement des taux d'oxygène, l'expérience de mort imminente et toutes les hallucinations qu'elle induit, qu'elles soient somesthétiques (perceptions faussées du corps ou de sa position dans l'espace, le sentiment de la présence d'une personne imaginaire, ou des expériences extracorporelles) visuelles (animaux, personnages humains, taches de couleur, scènes complexes) ou auditives (voix humaines, sons de cloches, musique). Rahm nous explique aussi, ce soir-là, que les morts que nous pensons invisibles, se situent peut-être simplement dans une spectralité invisible, dans la lumière invisible, et que les fantômes, eux, apparaissent à nos yeux quand il y un "bug" dans le contrôle des longueurs d'ondes... En sortant de la HEAD, j'ai l'impression de flotter dans la ville et il m'apparaît comme une évidence que je vais dès ce soir installer ma baignoire au plafond, pour avoir, comme nous l'a encore suggéré Philippe Rahm, plus chaud dans ma salle de bains, sans dépense énergétique supplémentaire - la chaleur monte, alors pourquoi vivre sur le plancher n'est-ce pas...
Trois jours plus tard, je rencontre à Marseille Berdaguer & Pejus, un couple d'artistes qui, comme Philippe Rahm, ont été lauréats du Grand Prix de Rome et, pensionnaires de la Villa Medicis, ont vécu comme lui ce moment d'utopie authentique que représente pour les lauréats ce moment magique, explorent eux aussi l'espace mortel. Avec l'aide du cabinet d'architecture Rudy Ricciotti , Berdaguer & Pejus ont conçu, il y a longtemps déjà, des Maisons qui meurent - par enlisement, par effritement, par oxydation et corrosion, ou encore par l'intermédiaire d'un bulletin de santé informatisé de l'habitant, reçu par palpeurs sensoriels et transmis aux murs - rejoignant ainsi la chronobiologie humaine. Berdaguer et Pejus conçoivent aussi des espaces hallucinogènes, hypnogènes, thérapeutiques... et sont désormais en lien avec Le Corbusier pour leur prochain projet. Le Corbusier est mort ? Peut-être, mais celui qui disait "La construction, c'est pour faire tenir ; l'architecture, c'est pour émouvoir" a dû, c'est certain, emmener avec lui de quoi architecturer le paradis. Selon Andrea Branzi (L'Architecture, c'est moi, 1980), "l'utopie n'est pas dans la fin mais dans la réalité".
L'architecture, c'est moi, et moi, et moi.
Publié dans les Quotidiennes, le 24 mars 2010
Trois jours plus tard, je rencontre à Marseille Berdaguer & Pejus, un couple d'artistes qui, comme Philippe Rahm, ont été lauréats du Grand Prix de Rome et, pensionnaires de la Villa Medicis, ont vécu comme lui ce moment d'utopie authentique que représente pour les lauréats ce moment magique, explorent eux aussi l'espace mortel. Avec l'aide du cabinet d'architecture Rudy Ricciotti , Berdaguer & Pejus ont conçu, il y a longtemps déjà, des Maisons qui meurent - par enlisement, par effritement, par oxydation et corrosion, ou encore par l'intermédiaire d'un bulletin de santé informatisé de l'habitant, reçu par palpeurs sensoriels et transmis aux murs - rejoignant ainsi la chronobiologie humaine. Berdaguer et Pejus conçoivent aussi des espaces hallucinogènes, hypnogènes, thérapeutiques... et sont désormais en lien avec Le Corbusier pour leur prochain projet. Le Corbusier est mort ? Peut-être, mais celui qui disait "La construction, c'est pour faire tenir ; l'architecture, c'est pour émouvoir" a dû, c'est certain, emmener avec lui de quoi architecturer le paradis. Selon Andrea Branzi (L'Architecture, c'est moi, 1980), "l'utopie n'est pas dans la fin mais dans la réalité".
L'architecture, c'est moi, et moi, et moi.
Publié dans les Quotidiennes, le 24 mars 2010
mardi 16 mars 2010
dimanche 14 mars 2010
Public Things
Dès jeudi 18 mars à Analix Forever
Une exposition de Conrad Bakker qui présente une librairie publique de livres de poche des années 1960-1970 : le livre de poche, l'internet de l'époque... Des livres de poche qui sont toutes des sculptures en bois peintes aussi, marquant la volonté de réappropriation de la production par l'artiste. Cash and carry.
Conrad Bakker est aussi enseignant et commissaire d'exposition et présente par ailleurs les travaux de cinq ex-étudiants désormais artistes eux aussi... Qui tous posent la question de savoir, dans une galerie, les choses sont-elles publiques ou privées ? Comment explorer cette interface ?
Réponses à la galerie... Et sur http://publicthings.tumblr.com/
Une exposition de Conrad Bakker qui présente une librairie publique de livres de poche des années 1960-1970 : le livre de poche, l'internet de l'époque... Des livres de poche qui sont toutes des sculptures en bois peintes aussi, marquant la volonté de réappropriation de la production par l'artiste. Cash and carry.
Conrad Bakker est aussi enseignant et commissaire d'exposition et présente par ailleurs les travaux de cinq ex-étudiants désormais artistes eux aussi... Qui tous posent la question de savoir, dans une galerie, les choses sont-elles publiques ou privées ? Comment explorer cette interface ?
Réponses à la galerie... Et sur http://publicthings.tumblr.com/
jeudi 11 mars 2010
Juliette à Genève
La merveilleuse Juliette était dimanche à Genève. C'était son anniversaire le 9 mars. Poisson, comme moi !
Juliette ? Mais quelle Juliette ? Juliette Binoche bien sûr, une actrice formidable, "discrète, magnétique et audacieuse" dit-on d'elle, mais aussi une femme plurielle, poète et excellente dessinatrice (c'est la galeriste en moi qui parle), auteur de In Eye un recueil de portraits et de textes plein de force et de finesse. Une femme corps et âme, danseuse aussi, transformatrice d'énergie à tous niveaux. Une femme engagée enfin, pour mille causes, et notamment pour la culture. Elle était à Genève dimanche pour soutenir le cinéma africain, dans le cadre de la 8e édition du Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH). Tard dans la nuit, à l'hôtel Cornavin, avant de reprendre le train pour Paris à l'aube le lendemain matin, elle raconte son engagement. "Quand nous parlons de l'Afrique, c'est toujours notre propre voix que nous entendons, les films sur l'Afrique parlent de ce que l'Occident pense, décide..." . Alors, quand Abderrahmane Sissako lui demande de devenir vice-présidente de son association, "Des Cinémas pour l'Afrique", elle n'hésite pas une seconde. Pour que l'Afrique se raconte elle-même, davantage, avec ses propres mots, sa propre voix. Et Juliette Binoche s'engage, encore, corps et âme... vient à Genève, donne d'elle-même sans compter, soutient la campagne de l'association en mettant en vente symboliquement, un à un, les fauteuils de cinéma afin de réhabiliter la salle Soudan Ciné à Bamako, une salle mythique, fermée depuis quatorze ans, qu'elle veut voir redevenir ce haut lieu de diffusion du cinéma en Afrique de l'Ouest qu'elle était. L'une des actions de l'association "Des Cinémas pour l'Afrique", qui souhaite fondamentalement, selon Juliette Binoche, "créer un autre lien avec l'Afrique en donnant la possibilité éventuelle à de jeunes africains de devenir cinéastes, la possibilité qu'ils se réapproprient leur voix, leur pensée, leur avis et puissent la donner en retour à travers des films. Participer à une action qui n'est pas seulement matérielle, même si elle passe notamment par la (re)construction de salles de cinéma, mais une action intérieure". Action intérieure, immédiatement relayée par des actions concrètes par cette magicienne de la transformation. Suivons-la !
Publié dans les Quotidiennes, le 11 mars 2010
Juliette ? Mais quelle Juliette ? Juliette Binoche bien sûr, une actrice formidable, "discrète, magnétique et audacieuse" dit-on d'elle, mais aussi une femme plurielle, poète et excellente dessinatrice (c'est la galeriste en moi qui parle), auteur de In Eye un recueil de portraits et de textes plein de force et de finesse. Une femme corps et âme, danseuse aussi, transformatrice d'énergie à tous niveaux. Une femme engagée enfin, pour mille causes, et notamment pour la culture. Elle était à Genève dimanche pour soutenir le cinéma africain, dans le cadre de la 8e édition du Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH). Tard dans la nuit, à l'hôtel Cornavin, avant de reprendre le train pour Paris à l'aube le lendemain matin, elle raconte son engagement. "Quand nous parlons de l'Afrique, c'est toujours notre propre voix que nous entendons, les films sur l'Afrique parlent de ce que l'Occident pense, décide..." . Alors, quand Abderrahmane Sissako lui demande de devenir vice-présidente de son association, "Des Cinémas pour l'Afrique", elle n'hésite pas une seconde. Pour que l'Afrique se raconte elle-même, davantage, avec ses propres mots, sa propre voix. Et Juliette Binoche s'engage, encore, corps et âme... vient à Genève, donne d'elle-même sans compter, soutient la campagne de l'association en mettant en vente symboliquement, un à un, les fauteuils de cinéma afin de réhabiliter la salle Soudan Ciné à Bamako, une salle mythique, fermée depuis quatorze ans, qu'elle veut voir redevenir ce haut lieu de diffusion du cinéma en Afrique de l'Ouest qu'elle était. L'une des actions de l'association "Des Cinémas pour l'Afrique", qui souhaite fondamentalement, selon Juliette Binoche, "créer un autre lien avec l'Afrique en donnant la possibilité éventuelle à de jeunes africains de devenir cinéastes, la possibilité qu'ils se réapproprient leur voix, leur pensée, leur avis et puissent la donner en retour à travers des films. Participer à une action qui n'est pas seulement matérielle, même si elle passe notamment par la (re)construction de salles de cinéma, mais une action intérieure". Action intérieure, immédiatement relayée par des actions concrètes par cette magicienne de la transformation. Suivons-la !
Publié dans les Quotidiennes, le 11 mars 2010
lundi 8 mars 2010
Le bon Thomas Minder ou l'apprenti démocrate
On pourrait penser parfois, à observer notre chère Helvétie, que faire de la politique, en ce royaume de la démocratie directe, se décline en trois étapes. D'abord, faire des sondages du genre - voulez vous moins d'étrangers oui ou non ? Voulez-vous plus d'argent oui ou non ? Plus de propreté, plus de sécurité, moins de gaspillages, oui ou non ? Deuxième étape, une fois le résultat du sondage obtenu, crier devant le peuple : "moins de ceci, plus de cela, oui, vous avez raison ! Moins d'argent pour les autres et plus pour nous!" Et troisième étape, se lever, bomber le torse et le frapper, virilement bien sûr, uba uba, élisez-moi, je suis proche du peuple et je ferai ce qu'il demande !
Ainsi Monsieur Minder. Avec l'excuse bien sûr, de ne pas être politicien. Qu'à cela ne tienne, en voilà un, de politicien Helvète, un vrai : Monsieur Blocher. Voilà quelqu'un qui écoute le peuple, qui a senti avant tout le monde la magnificence de la vanne électorale ouverte par Minder, qui n'a jamais reculé devant aucune récupération, et qui ni une ni deux fait sienne cette idée magnifique qu'est le contrôle des rémunérations. Les autres ne doivent pas gagner tellement plus que moi, c'est forcément injuste, réparons - et vite! - cette injustice crasse.
Le problème de ces Messieurs réside dans leur ignorance de ce qu'est la démocratie, et de ce qu'est le rôle des politiciens. Pardonnable pour le premier, qui n'est pas un professionnel, impardonnable pour le second.
Le rôle du politicien, en démocratie, n'est pas de susciter des réponses attendues du peuple par des sondages à questions fermées puis d'appliquer dare-dare ces réponses que l'on est allé chercher au mépris de tout dialogue. Non, en démocratie, le rôle du politicien élu n'est pas d'étouffer le dialogue, mais tout au contraire, d'assumer la responsabilité d'élever ce dialogue. De l'élever par ses connaissances historiques et actuelles, ses compétences, son professionnalisme, son appréhension de la complexité des choses. Démocratie ne signifie pas poser des questions débiles au peuple puis se prévaloir du fatal "Ah, le peuple a décidé". Si le peuple estimait que c'était à lui de faire, pourquoi élirait-il des représentants et leur demanderait-il de débattre dans un Parlement? Il s'agit, pour le parlementaire, de donner forme au débat, de le nourrir de de comparaisons et de nuances.
Quand le peuple suisse vote contre les minarets, la question qui se pose alors n'est pas de savoir si le peuple a raison ou tort, car le peuple a ses raisons que la raison ne connaît pas. Non, la question qui se pose est la suivante : les politiciens ont-ils suffisamment dialogué ? Tous les tenants et les aboutissants ont-ils été pris en compte, expliqués, débattus ?
Car quoiqu'en disent tous les cours de coaching de communication et de succès télévisuels, le rôle du politicen n'est pas de simplifier à outrance. Comme le disait si justement Einstein. "One should make things as simple as possible, but not one bit simplier." Pour éviter la simplification à outrance, il faut introduire le doute dans les débats. Le doute, nourriture des sages, engrais de la pensée, richesse du dialogue, garantie de qualité. Pas le doute paralysant bien sûr, celui qui empêche de décider, qui opacifie les enjeux et prévient l'action. Non, le doute qui signe l'écoute de l'opinion de l'autre, qui sollicite cette opinion, qui l'élabore. Le doute qui conduit à chercher d'autres pistes.
L'initiative Minder plaît au peuple, les sondages le prouvent. Mais derrière les résultats de ces sondages, qu'y a-t-il vraiment? L'irrépressible désir d'une meilleure redistribution des richesses. Vieux rêve socio-communiste forcément voué à l'échec ? Ou rêve d'avant-garde d'une société plus libre, dans laquelle chacun enfin aurait accès à la liberté - une société individualiste pour le meilleur de chaque individu ? J'aurais tendance à opter pour la deuxième réponse. Dans ce cas, si les politiciens élus veulent mériter leurs lettres de noblesse, ils ne sauraient proposer des solutions simplistes dont ils savent parfaitement qu'elles ne peuvent répondre à la volonté profonde du peuple. Ils ne devraient pas non plus dissoudre la question en la repoussant après les prochaines élections par crainte que les votants ne pensent qu'ils n'ont pas été écoutés.
La question à la fois fondamentale et pratique que pose l'initiative Minder, si on y regarde de plus près, est bel et bien celle d'une meilleure distribution des richesses. Comment rendre celle-ci plus fluide, naturelle, logique ? Par un contrôle plus strict des salaires, des rémunérations et des bonus ? La réponse est-elle vraiment dans la légifération "vers le bas" ? Quelque chose me dit que non, peut-être mon atavisme libéral, ou l'observation de l'Histoire. Mais une chose est certaine, c'est que Minder pose une question brûlante. Il faut maintenant prendre cette initiative à bras le corps, comprendre pourquoi le peuple l'aime, aller débattre avec lui, partout, tous les jours, sans baster, trouver des voies plus innovantes pour donner à chacun le goût et les meilleurs moyens de cette distribution souhaitée. Ces moyens se cachent probablement davantage dans la multiplication que dans la soustraction.
Publié dans l'AGEFI, le 8 mars 2010
Ainsi Monsieur Minder. Avec l'excuse bien sûr, de ne pas être politicien. Qu'à cela ne tienne, en voilà un, de politicien Helvète, un vrai : Monsieur Blocher. Voilà quelqu'un qui écoute le peuple, qui a senti avant tout le monde la magnificence de la vanne électorale ouverte par Minder, qui n'a jamais reculé devant aucune récupération, et qui ni une ni deux fait sienne cette idée magnifique qu'est le contrôle des rémunérations. Les autres ne doivent pas gagner tellement plus que moi, c'est forcément injuste, réparons - et vite! - cette injustice crasse.
Le problème de ces Messieurs réside dans leur ignorance de ce qu'est la démocratie, et de ce qu'est le rôle des politiciens. Pardonnable pour le premier, qui n'est pas un professionnel, impardonnable pour le second.
Le rôle du politicien, en démocratie, n'est pas de susciter des réponses attendues du peuple par des sondages à questions fermées puis d'appliquer dare-dare ces réponses que l'on est allé chercher au mépris de tout dialogue. Non, en démocratie, le rôle du politicien élu n'est pas d'étouffer le dialogue, mais tout au contraire, d'assumer la responsabilité d'élever ce dialogue. De l'élever par ses connaissances historiques et actuelles, ses compétences, son professionnalisme, son appréhension de la complexité des choses. Démocratie ne signifie pas poser des questions débiles au peuple puis se prévaloir du fatal "Ah, le peuple a décidé". Si le peuple estimait que c'était à lui de faire, pourquoi élirait-il des représentants et leur demanderait-il de débattre dans un Parlement? Il s'agit, pour le parlementaire, de donner forme au débat, de le nourrir de de comparaisons et de nuances.
Quand le peuple suisse vote contre les minarets, la question qui se pose alors n'est pas de savoir si le peuple a raison ou tort, car le peuple a ses raisons que la raison ne connaît pas. Non, la question qui se pose est la suivante : les politiciens ont-ils suffisamment dialogué ? Tous les tenants et les aboutissants ont-ils été pris en compte, expliqués, débattus ?
Car quoiqu'en disent tous les cours de coaching de communication et de succès télévisuels, le rôle du politicen n'est pas de simplifier à outrance. Comme le disait si justement Einstein. "One should make things as simple as possible, but not one bit simplier." Pour éviter la simplification à outrance, il faut introduire le doute dans les débats. Le doute, nourriture des sages, engrais de la pensée, richesse du dialogue, garantie de qualité. Pas le doute paralysant bien sûr, celui qui empêche de décider, qui opacifie les enjeux et prévient l'action. Non, le doute qui signe l'écoute de l'opinion de l'autre, qui sollicite cette opinion, qui l'élabore. Le doute qui conduit à chercher d'autres pistes.
L'initiative Minder plaît au peuple, les sondages le prouvent. Mais derrière les résultats de ces sondages, qu'y a-t-il vraiment? L'irrépressible désir d'une meilleure redistribution des richesses. Vieux rêve socio-communiste forcément voué à l'échec ? Ou rêve d'avant-garde d'une société plus libre, dans laquelle chacun enfin aurait accès à la liberté - une société individualiste pour le meilleur de chaque individu ? J'aurais tendance à opter pour la deuxième réponse. Dans ce cas, si les politiciens élus veulent mériter leurs lettres de noblesse, ils ne sauraient proposer des solutions simplistes dont ils savent parfaitement qu'elles ne peuvent répondre à la volonté profonde du peuple. Ils ne devraient pas non plus dissoudre la question en la repoussant après les prochaines élections par crainte que les votants ne pensent qu'ils n'ont pas été écoutés.
La question à la fois fondamentale et pratique que pose l'initiative Minder, si on y regarde de plus près, est bel et bien celle d'une meilleure distribution des richesses. Comment rendre celle-ci plus fluide, naturelle, logique ? Par un contrôle plus strict des salaires, des rémunérations et des bonus ? La réponse est-elle vraiment dans la légifération "vers le bas" ? Quelque chose me dit que non, peut-être mon atavisme libéral, ou l'observation de l'Histoire. Mais une chose est certaine, c'est que Minder pose une question brûlante. Il faut maintenant prendre cette initiative à bras le corps, comprendre pourquoi le peuple l'aime, aller débattre avec lui, partout, tous les jours, sans baster, trouver des voies plus innovantes pour donner à chacun le goût et les meilleurs moyens de cette distribution souhaitée. Ces moyens se cachent probablement davantage dans la multiplication que dans la soustraction.
Publié dans l'AGEFI, le 8 mars 2010
jeudi 4 mars 2010
Tribute to Alexander
Au moment où le monde de la création pleure Alexander McQueen, Frank Perrin, photographe, directeur créatif du magazine Crash, présentera un hommage photographique et sonore à Alexander McQueen sur le stand de Analix Forever à la prochaine Foire de Milan (MiART 2010, 25-29 mars). Notre hiver 2010.
Notre hiver 2010
Alexander s'est pendu
Au fil rouge de leurs lèvres
C'était comme un cortège
Funèbre et flamboyant
Nous le savions Alexander
Tu n'irais pas plus loin
Avec elle le fil s'est perdu
Elle a tiré ses dernières cartes
Grandiloquente Gorgone
Ecrasant et macabre
Notre hiver 2010
Le clown s'est pendu
Maquillage flamboyant
Corolle blanche regard noir
Les parois humides
Couvertes de moisissures
Arrière-monde sans frontière
Habité par l'obscur
Obscur et flamboyant
Let me, let me,
Freeze to death
Notre hiver 2010
La Reine s'est pendue
Mais la corde a cédé
Et le sang coagule
Les territoires boueux
Des visages peinturlurés
Ces visages de femmes
Aux grimages baveux
Et la mort derrière toi
Et la mort devant nous
Victoire flamboyante
De notre hiver 2010
Our Winter of 2010
Alexander hung himself
To the red thread of their lips
As if they were processions
Funereal and flamboyant
We understood, Alexander
That you wouldn’t go any further
You lose her and the thread
She gave out her last card.
Grandiloquent Gorgon
Overwhelming and macabre
Our winter of 2010
The clown hung himself
In flamboyant make-up
White corolla dark sight
Between yeast contaminated walls
In borderless hinterland
Living an obscure life
Obscure and flamboyant
The clown sang
Let me, let me
Freeze to death
Our winter of 2010
The Queen hung herself
But the rope let go
And the blood coagulates
The muddy territories
Of garishly painted faces
These women’s faces
In slimy disguise
And death is behind you
And death in front of us
Flamboyant victory
Of our winter of 2010
Concept & photographies : Frank Perrin
Poetry : Barbara Polla
English : Thank you Sam Samore
Dans ce contexte, les mots de Paul Ardenne à propos de la mode résonnent avec particulièrement d’acuité : « L’univers de la mode est celui de la violence même. Violence des rapports entre agents qui animent et font vivre ce milieu – comme en tout autre milieu où il n’est pas question de partager le pouvoir. Violence surtout, qui excède la limite même du milieu de la mode, dont cette dernière est porteuse – la violence exercée contre le corps. » (Kiss me Deadly, postface de Kris Van Assche, Amor o Muerte.
mercredi 3 mars 2010
De la sexualité des ciliés
Une nouvelle aussi exceptionnelle, publiée notamment dans l'International Herald Tribune, ne pouvait échapper aux Quotidiennes.
Les ciliés, quand ils font l'amour, le font à fond.
On n'est pas superficiel, chez ces organismes là, ce n'est pas juste une partie de cils en l'air et on passe à autre chose. Non, chaque coït représente une profonde illumination, la vision de l'autre au plus intime de ce qu'il est, l'échange total. Recourbez vos cils et ouvrez vos mirettes !
Vous savez ce qu'ils font, les ciliés ? Eh bien, ils échangent leur ADN. Total mixage. Deux ciliés différents se rencontrent, se plaisent, reconnaissent en l'autre ce possible double de soi-même à jamais adoré - ils vont aux fond des choses. A la sortie, les deux ciliés sont devenus identiques. Adéènnement identiques. Ils ont tout donné, tout pris, le meilleur et le pire et le ciel aussi.
Ah alors bien sûr, après, ils s'en recherchent un autre, de partenaire, un différent, parce que recommencer avec le même voudrait dire revenir à l'autoérotisme. On ne voit pas le ciel quand on fait l'amour avec soi-même. La rencontre de l'autre, la fusion totale, n'ont pas d'équivalent. Donc évidemment, ce que l'on appelle chez les humains la fidélité, n'existe pas chez les ciliés...
Qui, de plus, n'ont pas un seul sexe, mais une foultitude. Stylonychia Mytilus en a cent. Ce qui amène la délicieuse autrice de l'article, Olivia Judson, à se rêver une drôle de deuxième vie...
Publié dans les Quotidiennes, le 3 mars 2010
Les ciliés, quand ils font l'amour, le font à fond.
On n'est pas superficiel, chez ces organismes là, ce n'est pas juste une partie de cils en l'air et on passe à autre chose. Non, chaque coït représente une profonde illumination, la vision de l'autre au plus intime de ce qu'il est, l'échange total. Recourbez vos cils et ouvrez vos mirettes !
Vous savez ce qu'ils font, les ciliés ? Eh bien, ils échangent leur ADN. Total mixage. Deux ciliés différents se rencontrent, se plaisent, reconnaissent en l'autre ce possible double de soi-même à jamais adoré - ils vont aux fond des choses. A la sortie, les deux ciliés sont devenus identiques. Adéènnement identiques. Ils ont tout donné, tout pris, le meilleur et le pire et le ciel aussi.
Ah alors bien sûr, après, ils s'en recherchent un autre, de partenaire, un différent, parce que recommencer avec le même voudrait dire revenir à l'autoérotisme. On ne voit pas le ciel quand on fait l'amour avec soi-même. La rencontre de l'autre, la fusion totale, n'ont pas d'équivalent. Donc évidemment, ce que l'on appelle chez les humains la fidélité, n'existe pas chez les ciliés...
Qui, de plus, n'ont pas un seul sexe, mais une foultitude. Stylonychia Mytilus en a cent. Ce qui amène la délicieuse autrice de l'article, Olivia Judson, à se rêver une drôle de deuxième vie...
Publié dans les Quotidiennes, le 3 mars 2010
mardi 2 mars 2010
Une médaille pour l'émotion
Nicolas Gilsoul, Docteur en Sciences de l'Architecture et du Paysage, ancien pensionnaire de la Villa Medicis à Rome, vient de se voir décerner, à moins de quarante années d'âge, la médaille d'argent de l'Académie d'Architecture, qui lui sera remise au mois de juin 2010, pour son analyse architecturale et sa recherche sur l'Architecture émotionnelle. Il y a deux ans, les Quotidiennes parlaient déjà d'architecture émotionnelle, un concept développé dans les années 1950 par Mathias Goeritz, qui, dans son Manifeste pour une architecture émotionnelle (1953), écrivait : «J’ai travaillé en totale liberté pour réaliser une œuvre dont la fonction serait l’émotion : il s’agit de redonner à l’architecture son statut d’art». Un concept repris par Luis Barragan, Prix Pritzker 1980, puis largement oublié pendant près de trente ans. Nicolas Gilsoul remet les travaux de Barragan au goût du jour et en pleine lumière, avec sa thèse intitulée : L'Architecture émotionnelle au service du projet. Etude du fonctionnement des mécanismes scénographiques dans l'oeuvre de Luis Barragan entre 1940 et 1980.
Quand on lui demande de donner un exemple actuel d'architecture émotionnelle, Nicolas Gilsoul n'hésite pas un instant : Les thermes de Vals du suisse Zumthor, Prix Pritzker lui aussi. Un lieu hors du temps, hors du mouvement, hors de la matérialité de tous les jours, une construction suffisamment discrète pour ne pas imposer une façon de voir mais pour permettre à chacun de vivre avec ses propres filtres et ses propres rêves.
Les Thermes de Vals stimulent l'imaginaire, notamment parce que Zumthor fait appel à d'autres sens que le visuel : l’audition, le toucher, la kinesthétie... Le bruit de l’eau, le cliquetis métallique du portillon d'accès, l'écho, les sons étouffés; le contact du pied avec la pierre rugueuse et à travers l'eau, les volutes de vapeur qui contrastent avec le béton lisse du hammam sur lequel on se couche; pour entrer dans certaines chambres comme celle avec les pétales de fleurs qui flottent sur l'eau on est d’abord comme compressé par une porte étroite puis on se trouve dans un lieu dans lequel le plafond noir est si haut qu'il semble avoir disparu...
Mais au-delà du talent de Zumthor, comment se fait-il que l'Académie d'Architecture prime en 2010 des travaux portant sur l'architecture émotionnelle ? Las, les dieux sont fatigués. Le spectacle aussi. Même le luxe est fatigué. Le monde semble s’orienter vers une démocratie plus individualiste que populaire - une "personacratie". Valoriser l'individu, seule manière de lutter contre le poids étouffant du nombre. Etre moi-même, exister en tant que moi au milieu des autres - mais alors ce ne peut être moi et mes "choses", ces objets que je possède et qui me définissent, moi mon statut ma place et ma vie - non, c'est moi et mes émotions, ou rien. La vie nue, la seule qui vaille.
La cause est entendue : les années 2010 seront émotionnelles ou elles ne seront pas. D'autres, et pas des moindres, l'ont dit avant nous et un peu autrement, à propos du XXIème siècle...
Et les chemins du rêve se construisent aussi. Comme le dit Gilsoul à propos des jardins zen qu'il a eu l'opportunité d'étudier : "En réalité ce qui m'intéressait ce n'était pas tant les jardins, que le cheminement, la préparation."
Décerner une médaille, c'est aussi indiquer un chemin. En l'occurrence, le chemin de l'émotion, un chemin à construire.
Publié dans les Quotidiennes, le 2 mars 2010
Quand on lui demande de donner un exemple actuel d'architecture émotionnelle, Nicolas Gilsoul n'hésite pas un instant : Les thermes de Vals du suisse Zumthor, Prix Pritzker lui aussi. Un lieu hors du temps, hors du mouvement, hors de la matérialité de tous les jours, une construction suffisamment discrète pour ne pas imposer une façon de voir mais pour permettre à chacun de vivre avec ses propres filtres et ses propres rêves.
Les Thermes de Vals stimulent l'imaginaire, notamment parce que Zumthor fait appel à d'autres sens que le visuel : l’audition, le toucher, la kinesthétie... Le bruit de l’eau, le cliquetis métallique du portillon d'accès, l'écho, les sons étouffés; le contact du pied avec la pierre rugueuse et à travers l'eau, les volutes de vapeur qui contrastent avec le béton lisse du hammam sur lequel on se couche; pour entrer dans certaines chambres comme celle avec les pétales de fleurs qui flottent sur l'eau on est d’abord comme compressé par une porte étroite puis on se trouve dans un lieu dans lequel le plafond noir est si haut qu'il semble avoir disparu...
Mais au-delà du talent de Zumthor, comment se fait-il que l'Académie d'Architecture prime en 2010 des travaux portant sur l'architecture émotionnelle ? Las, les dieux sont fatigués. Le spectacle aussi. Même le luxe est fatigué. Le monde semble s’orienter vers une démocratie plus individualiste que populaire - une "personacratie". Valoriser l'individu, seule manière de lutter contre le poids étouffant du nombre. Etre moi-même, exister en tant que moi au milieu des autres - mais alors ce ne peut être moi et mes "choses", ces objets que je possède et qui me définissent, moi mon statut ma place et ma vie - non, c'est moi et mes émotions, ou rien. La vie nue, la seule qui vaille.
La cause est entendue : les années 2010 seront émotionnelles ou elles ne seront pas. D'autres, et pas des moindres, l'ont dit avant nous et un peu autrement, à propos du XXIème siècle...
Et les chemins du rêve se construisent aussi. Comme le dit Gilsoul à propos des jardins zen qu'il a eu l'opportunité d'étudier : "En réalité ce qui m'intéressait ce n'était pas tant les jardins, que le cheminement, la préparation."
Décerner une médaille, c'est aussi indiquer un chemin. En l'occurrence, le chemin de l'émotion, un chemin à construire.
Publié dans les Quotidiennes, le 2 mars 2010
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