dimanche 28 novembre 2010
Sergio Rizzo reçoit le prix AIOM Foundation Scholarship 2010
Architecture émotionnelle : November news
« Le seul luxe nécessaire est celui du temps de la réflexion. »
L’architecture émotionnelle, qu’est-ce que c’est ? Cela existe ? Ou plutôt, est-il une architecture qui ne soit pas émotionnelle ? En fait, en 1953 déjà, Mathias Goeritz écrivait un Manifeste pour une architecture émotionnelle, dans lequel il affirmait notamment : « J’ai travaillé en totale liberté pour réaliser une œuvre dont la fonction serait l’émotion : il s’agit de redonner à l’architecture son statut d’art ». Aujourd'hui, alors que les questionnements intenses de la société occidentale se focalisent autour de l'existence personnelle de chacun des humains, l'intérêt porté aux émotions revient en force. Le progrès de la société relève aussi de la prise en compte de l'ensemble de ces émotions, demeurées trop longtemps écartées des grandes décisions, notamment dans la construction de notre monde urbain. Et pourtant, l’architecture joue de fait un rôle clé dans le bien-être citoyen et dans la qualité des liens sociaux créés par les espaces urbains.
Forts de ce constat, nous avons créé l'Association suisse pour l'architecture émotionnelle et organisons le Premier Colloque international et interdisciplinaire d'Architecture émotionnelle, le 20, 21 et 22 janvier à Genève, à la Fondation Louis-Jeantet. Les partenaires scientifiques principaux de ce colloque sont le Centre Interfacultaire des Sciences Affectives de l’Université de Genève (et en particulier David Sander, Sophie Schwartz, co-auteurs du livre Au coeur des émotions à lire absolument) ainsi que Patrizia Lombardo et Carole Varone) et la Faculté d’Architecture La Cambre-Horta de l’Université Libre de Bruxelles. Au cours de ce colloque seront traitées les questions suivantes : quelle architecture ? quelles émotions ? pourquoi explorer et comment gérer les émotions générées par l’architecture – l’architecture comprise alors comme organisation de notre espace de vie ? peut-il y avoir une architecture qui ne soit pas émotionnelle ? la quête de l’émotion doit-elle oui ou non guider l’architecte au travail ? l’efficacité d’un bâtiment en termes d’accueil, de confort et d’agrément peut-il faire l’économie de la notion d’émotion ? mais d’autre part, trop d’émotion mise dans la conception architecturale ne nie-t-elle pas l’efficacité ? à l’heure de la métropolisation du monde, du fait d’une pression démographique exacerbée et de la persistance d’exodes profitant aux entités urbaines, l’architecture de nos villes doit-elle privilégier l’émotionnel ?
Certes, il ne sera pas apporté de réponse ferme à toutes ces questions – mais du moins celles-ci seront-elles soulevées par les plus grandes personnalités de l’architecture et du monde des émotions - mais aussi par des hommes et des femmes « bien de chez nous » : mentionnons notamment Brigitte Diserens-Jucker qui organisera dans ce contexte avec Jacques-Louis de Chambrier une visite de ce joyau local qu’est l’Immeuble Clarté du Corbusier ; Bénédicte Montant qui assure les liens avec l’Association genevois des Architectes et la FAI (Fédération des associations genevoises d’architectes et d’ingénieurs), mais aussi Laurent Geninasca ou encore Patrick Aebischer. Laurent Geninasca, architecte attentif à la dimension esthétique de ses propres constructions, nous renvoie d’ailleurs à cette question fondamentale : comment « faire beau » – générer des émotions esthétiques positives – sans moyens financiers ? Selon lui, le manque de moyens n’est jamais une excuse pour ne pas « faire beau » et, poursuit-lui, « le seul luxe nécessaire est celui du temps de la réflexion ». Ce luxe-là appartient à tous, il est affaire collective.
Patrick Aebischer, quant à lui, est à l’origine du Learning Center de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne – réalisation de l’agence japonaise SANAA, Pritzker Prize 2010 – et il aime « son » bâtiment : « Je l’aime pour ce qu’il suscite chez moi ou chez tous les gens qui le parcourent. C’est un bâtiment à vivre, à expérimenter. Le monde universitaire a besoin de la culture et de l’architecture. » À partir de cette première réalisation d’exception, Aebischer se propose maintenant de convaincre l’Europe entière que ses universités doivent devenir le modèle même de l’acquisition des savoirs de demain – un modèle qui se doit de reposer sur une architecture spécifique qui abat les murs et décloisonne cerveaux et cultures : « L’esthétique et la culture ont cette vocation de décloisonner, d’ouvrir l’esprit. C’est une éducation à l’altérité, à la différence. »
Save the Date : 20-22 janvier 2011
Premier Colloque international et multidisciplinaire d’Architecture émotionnelle, Genève
Avec le soutien de la République et Canton de Genève.
Entrée libre, inscription obligatoire.
Le colloque est ouvert à tous, architectes, constructeurs, spécialistes en sciences affectives (psychologie, littérature, neurosciences, ...) aux étudiants et aux doctorants intéressés à l'esthétique, à l'espace et à l’interdisciplinarité comme méthode de travail, ainsi que - et peut-être avant tout - aux utilisateurs de l’espace, c’est-à-dire de fait à tous les citoyens.
Libres livres
"Le Corbusier, la Planète comme Chantier"
Comment parler d’architecture en Suisse sans évoquer Charles-Edouard Jeanneret-Gris ? Le Corbusier donc. Jean-Louis Cohen, architecte et historien de l’architecture et de l'urbanisme contemporain, Professeur à l'université de Paris VIII et à New York University, l’un des éminents orateurs du Premier Colloque d’Architecture émotionnelle, a consacré plusieurs ouvrages au grand architecte, parmi lesquels Le Corbusier, la Planète comme Chantier. Oui, quoi de moins pour cet iconoclaste que le chantier planétaire ? « Iconoclaste, nous dit Jean-Louis Cohen, il l'a été parce qu'il a combattu le langage classique. Mais il a inventé un modèle toujours d'actualité, le grand intérieur blanc avec éclairage naturel par opposition à l'intérieur du XIXe siècle plein d'objets et baignant dans la pénombre » Cohen, spécialiste du Corbu, de ce « personnage mi-secret mi-tonitruant, premier expert volant de l'architecture », a aussi été conseiller scientifique de l'exposition « L'Aventure Le Corbusier » (Centre Georges Pompidou, 1987).
Ecoutons Cohen nous parler du « Corbu » : « Parcourant la planète pour donner des conférences ou suivre les chantiers de ses œuvres, il a traversé des paysages, des cultures, des sociétés, des systèmes de sociabilité, autant de stimuli à ses inventions formelles. Il a formé son répertoire visuel et affectif au contact des montagnes du Jura Suisse, des musées italiens, des campagnes bulgares, des monastères toscans ou grecs, des usines allemandes ou américaines, des campagnes indiennes et dans une longue fréquentation du Paris des monuments et des faubourgs. » Est-ce de là que lui est venue l’idée lumineuse de détruire le centre de Paris pour en faire une ville plus rationnelle et ordonnée, un grand parc désert en somme, avec toutes les habitations repoussées vers la périphérie ?
La Planète comme Chantier est émaillée de croquis de voyage, de photographies, de lettres du Corbu à ses amis, de maquettes de projets jamais réalisés qui nous livrent avec une intensité particulière « un être d'émotions et de passions, avec ses coups de génie, coups de tête, hésitations et contradictions. » Un être d’émotions ? Mais quelles émotions ? Nous voici revenus à la question de base…
"Au cœur des Emotions"
Au cœur des Emotions, de David Sander (professeur à la Section de psychologie et au Centre interfacultaire en sciences affectives et l’un des partenaires scientifiques principaux du colloque) et sa collègue Sophie Schwartz (maître d'enseignement et de recherche à la Faculté de médecine et au Centre de neurosciences) est, dit-on, un livre pour enfants. Mais devant les émotions, n’avons-nous pas tous dix ans ? Comme la petite Hannah du livre, qui, le jour de ses 10 ans, entame un voyage scientifique « au coeur des émotions »... Ce livre délicieux tente de répondre à toutes sortes de questions: Qu'est-ce qu'une émotion ? Comment les émotions s'expriment-elles ? A quoi servent-elles ? Comment les changer ? Parfait oui, pour les enfants comme pour les architectes, de sept à soixante dix-sept ans !
Publié dans l'Extension, novembre - décembre 2010
mercredi 24 novembre 2010
Avis aux amis
Ce soir je vais en Valais ! Pourquoi donc cette grande nouvelle ?
Parce que je vais soutenir Philippe Nantermod dans sa campagne pour la candidature au Conseil national
Pourquoi donc ?
Parce qu'il chante bien...
lundi 22 novembre 2010
Recomposition de la structure des entreprises familiales
Selon Edwin Neill, qui codirige – avec une femme – une entreprise familiale quasi séculaire à la Nouvelle Orléans, l’entreprise familiale, pour durer, doit être « fun ». « Il faut qu’il n’y ait rien de mieux, et que chacun sente qu’il a son mot à dire et le cas échéant sera écouté, non pas forcément pour lui-même, mais pour l’intérêt général de l’entreprise. » Neill affirme aussi qu’ « il ne faudrait pas être CEO d’une entreprise familiale après 60 ans. Cela tue la relève. Rester dans le business oui, mais pas dans la position dirigeante. »
La position de Neill nous ramène aux stéréotypes suisses – le pater familias patron d’entreprise ad aeternam – des stéréotypes qui restent malheureusement d’actualité, tant en ce qui concerne l’âge que le sexe. Plus de la moitié des patrons de PME familiales suisses sont âgés aujourd’hui de 51 à 60 ans. Une situation qui pose indubitablement le problème de la transmission : selon un rapport de Ernst et Young, deux tiers des successions échouent à la deuxième génération, à la troisième, il ne reste que 10% à 15% des entreprises familiales et 3% à 5% à la quatrième génération.» Et cherchez les femmes !
Il en va tout autrement aux Etats-Unis, notamment en ce qui concerne les femmes. Sharon Hadary, fondatrice du Center for Women's Business Research, s’émerveille de la croissance formidable des business créés et gérés par des femmes, une création qui ces dernières décennies s’est révélée deux fois plus rapide que la création de business par les hommes. Mais mêmes aux Etats Unis, il reste fort à faire pour les entreprises féminines qui restent encore de taille inférieure à celles créées et dirigées par des hommes, avec un chiffre d’affaire inférieur en moyenne de 27%. Hadary identifie quatre causes majeures à cette situation. Tout d’abord, les buts que l’on se fixe - qui sont systématiquement plus modestes dans les entreprises « femmes » -, les autres facteurs essentiels étant l’accès aux marchés, l’accès aux réseaux, et bien entendu, l’accès au capital. Bien entendu ? Pour que l’accès au capital se développe au plus vite, encore faut-il que les voies de cet accès soient déblayées. Le développement de l’accès au capital par les femmes, abordé par le microcrédit dans les pays du Sud, nécessite d’abord, en Europe et aux USA, l’intégration du concept de « matrimoine ». L’accès au capital de banques ou d’investisseurs passe aussi par l’accès au capital géré par la mère ou des modèles maternels. L’habitude de créer, de gérer, de changer, de toucher à l’argent... ne s’hérite pas mais se transmet. Le plus tôt sera le mieux !
Publié dans l'Agefi, le 22 novembre 2010
mercredi 17 novembre 2010
Avantages de la libre-immigration
L’immigration est l’une des expressions de notre nomadisme fondamental. Je me suis laissé dire que nous sommes dix millions tous les jours à voler autour de la terre dans tous les avions du monde. Et souvent je pense à ces époques bénies, ou les uns et les autres traversaient l’Europe et les autres continents, sans papiers, sans entraves autres que la difficulté du voyage – c’était cela aussi, la Renaissance. Emigrer : partir, quitter son pays ; immigrer : s’installer dans celui que l’on préfère. A tout prix parfois, y compris le risque mortel. L’immigration ? C’est donc d’abord un choix de l’immigré, voire une élection. En aucun cas, sur aucune base intellectuelle valable, l’immigration n’est une fatalité, une déréliction, un délit voire un crime. Emigrer, immigrer, c’est voter avec ses pieds. C’est donc fondamentalement, vouloir s’intégrer.
Ah oui bien sûr je les entends déjà, et nos emplois et le trafic de drogue et ceux qui ont violé nos filles et les profiteurs et notre culture et notre identité nationale et que sais-je encore… Je les entends non seulement ici en Suisse, mais de l’Australie à l’Allemagne désormais, de la Suède à l’Italie – pourtant longtemps modèle de libéralisme, non seulement en termes de faiblesse de l’Etat mais aussi en termes de mobilité des populations, qu’il s’agisse d’immigration ou d’émigration – et même aux Etats Unis. Heureusement, il est au moins un pays qui nous met fondamentalement au défi de toute politique d’immigration restrictive. Le Canada le dit très clairement : « We need people ! ». Ah comme l’Europe devrait écouter ce message, elle qui s’étiole dans son enfermement et dont la démographie s’affaiblit et se dessèche. Vingt pourcent des Canadiens sont nés ailleurs qu’au Canada. Alors bien sûr, pour que le choix du Canada rencontre le choix de ses immigrés, des critères sont appliqués, pour favoriser l’intégration. Vous pouvez tester en sur Internet votre « immigrabilité », en toute transparence. Vous pouvez évaluer le chemin à parcourir, pour vous intégrer. La citoyenneté se mérite, elle requiert un apprentissage intensif des langues, des valeurs, des cultures. Des centres d’intégration active sont mis en place. De plus, autre facteur d’intégration et critère parfait de rencontre productive, les immigrés sont sélectionnés en fonction des besoins du pays. Mieux : des provinces. Dans un pays de cette dimension, les besoins varient. Le Canada considère que l’immigration ne nuit en rien à l’identité nationale : elle est un choix réciproque qui se réalise dans une politique active. L’entrepreneur Arthur de Fehr, cité par Jason Deparle dans The global Edition of the New York Times du 15 novembre, affirme même que parmi les onze millions d’immigrés illégaux aux Etats-Unis il y en a certainement beaucoup qui feraient des citoyens canadiens « perfectly wonderful ». « We need people ? We should go and get them » ! La peur de l’étranger et la manipulation de cette peur fait place à l’analyse et la réalisation des besoins d’immigration, dans le cadre d’une politique ouverte et claire semble-t-il favorisée par le bi-nationalisme et le bilinguisme fondamental du Canada.
Un multi-linguisme, un multi-cuturalisme qui caractérise aussi bien la Suisse – qui elle aussi a encore et toujours des besoins criants, en termes d’immigration, quoi qu’en disent les sirènes populistes. Citons deux exemples, à l’opposé de l’échelle sociale : les métiers domestique et ceux de l’électronique. Les métiers domestiques : malgré le chèque emploi, malgré la traque du travail au noir, la réalité persiste et les besoins de la Suisse bourgeoise et industrieuse en termes d’assistance domestique (enfants, personnes âgées) est très loin d’être satisfaite. Ceux de l’électronique : pour rester à la pointe de l’innovation, une nécessité absolue pour la Suisse, l’apport d’autres manières de penser et de faire le monde virtuel de demain est fondamental. Nous pourrions bien sûr multiplier les domaines, mais une chose est certaine : « we need people too ! ». Alors quand verrons nous des affiches sur nos murs qui disent : « Comment attirer plus d’immigrants ? ». Quel sera le parti qui le premier, oeuvrera dans ce sens ? Et qui, dans le même temps, fera abolir la détention administrative, cette absurdité qui pose bien plus de problèmes qu’elle n’en résout ?
Publié dans l'Agefi, le 17 novembre 2010
Les problèmes, source de créativité
A Washington se tient l'ISPA, International Spa Association, 1800 personnes, la grande messe du soin, des sponsors d'exceptions comme Aveda, de toutes petites marques Alchimie Forever (raison de ma présence à Washington...). Le grand jeu. L'Amérique industrieuse, qui en veut, le business avant tout, la qualité du service. Chacun montre le meilleur de lui-même.
Sauf qu'entre la Floride et Washington, le train qui transportait tout le matériel pour cinq des stands représentés a déraillé. C'est le cas par exemple, pour Eminence Organics. Vous vous retrouvez donc, au Gaylord National, avec votre emplacement payé, rien à montrer. On pleure, on se met en colère, on désespère, on fait un procès ? Que nenni non point. Eminence a inventé et fait imprimer pendant la nuit l'affiche la plus visible de toutes : Missing Booth.
Et pour ceux qui apporteraient des informations ou auraient retrouvé le missing both, une récompense qui en vaut la peine : Hot Ungarians ! Ce sera le stand le plus visité de la foire. Morale ? Remercier le seigneur des commerçants : les problèmes insolubles génèrent les meilleures idées : d''ailleurs, on rayonne du plaisir de l’idée, chez Eminence Organics. Un exemple à suivre !
Publié dans les Quotidiennes, le 17 novembre 2010
mercredi 10 novembre 2010
Des trucs de fous
Sainte Barbara, patronne des mineurs. Parfois, il faut rappeler les miracles. C’est le rôle des Saintes, dont je ne suis pas. Je n’en ai que le prénom, qui m’a fait me sentir particulièrement proche des 33 miraculés. Tout semble être rentré dans l’ordre au Chili. Mais nous n’oublions pas ces 33 mineurs, leur exceptionnel courage, ni l’ingéniosité sans égale de leurs sauveteurs.
Mario Sepulveda, le deuxième rescapé de la mine de San José, fut le premier à s’exprimer. Gratitude envers les secouristes : «Ils nous ont récupérés. On y a mis du nôtre, de la folie, de l'expérience, de notre coeur de mineur, mais les professionnels ont mis tout le reste».
Apparemment seul parmi les 33 mineurs, il a exprimé, aussi, son désir de poursuivre son travail. Mineur il a été, mineur il restera. Héros du quotidien, comme il y en a tant. Car s’il y a ceux dont on parle parfois, peu nombreux – et milliers et milliers de héros ignorés, inconnus, oubliés.
Sainte Barbara est aussi patronne des architectes, mais pas des nageurs. Rien à voir donc avec Philippe Croizon, le nageur amputé des quatre membres qui a traversé la Manche à la nage en septembre dernier. Sauf que... «J'ai réussi. J'ai fait un sprint final. Il y avait du monde sur la falaise pour m'accueillir. C'est vraiment un truc de fou. Je voulais y arriver. J'espère être un symbole pour le dépassement de soi». Ses mots, quelques minutes après son arrivée.
L’humain est capable du meilleur, toujours... Et seulement parfois, du pire. Et d’après Sepulveda comme d’après Croizon, la folie fait partie de ce meilleur qui permet le dépassement de soi.
Publié le 10 novembre 2010, dans les Quotidiennes
dimanche 7 novembre 2010
Jardins de rues au Japon
Vous avez encore une semaine pour aller admirer les jardins du japon. A Carouge, au Flux Laboratory - plus facile qu'à Kyoto, et presque aussi beau... Grâce à Olivier Delhoume, poète d'un quotidien qui pour l'instant ne saurait être le nôtre, puisque comme il le rappelle, il est interdit, de par chez nous, de mettre des fleurs sur le domaine public et les trottoirs. Mais au Japon.... là fleurissent les jardins de rue, marques infimes, modestes et merveilleuses : “un simple pot placé devant la porte, sur le trottoir, et que chaque passant s’appliquera à préserver. Parfois, ces plantes se multiplient de manière extravagante le long des avenues, au pied des panneaux indicateurs ou des rambardes de sécurité. Certaines semblent avoir pris racine dans le caniveau, malgré le pot qui les contient. Elles bravent les risques d’un trafic qui les frôle”. Elles côtoient les outils tout aussi modestes qui leur servent de tutelle : bouteille d’eau minérale pour décanter l’eau de pluie, cintre à vêtement pour préserver des chats, bac de récupération en attente de plantation...
Et puis, si jamais Carouge vous semble aussi loin que Kyoto, alors lisez le livre dans lequel Olivier Delhoume n’est pas seul à nous faire rêver. Christian Bernard aussi, qui préface l’ouvrage : “Peut-être y a-t-il autant de pays que de voyageurs, autant de villes que de Flâneurs, de rues que de rêveurs, autant de jardins que de saisons dans l’âme... Le Japon est ... un monde où l’intervalle fait vallée et l’interstice eldorado. Je le sais, non d’y être allé mais d’avoir observé les instantanés d’Olivier Delhoume, cet arpenteur des nano-campagnes urbaines, ingénieux pisteur des futaies de contrebande, orpailleur hors pair des Tivolis clandestins, qui Flaire le mont Fuji dans toute taupinière”. Bien sûr, nous savions tous que Christian Bernard est le concepteur et directeur du MAMCO à Genève, ancien directeur de la Villa Arson à Nice, mais certains ignoraient encore qu’il est aussi poète...
Publié le 7 novembre 2010, dans les Quotidiennes
vendredi 5 novembre 2010
Le logement étudiant idéal: solitaire, communautaire, nomade ?
Le vendredi 5 novembre 2011 s’est tenu à Paris, à la Cité Internationale Universitaire de Paris, un nouveau colloque sur le logement étudiant, organisé notamment par Pascale Dejean, grande spécialiste de ces questions et ouvert par Bertrand Vallet (le précédent colloque avait eu lieu en 2009).
Cette année le Colloque s’intitulait Habitat étudiant, Un écosystème à inventer, et traitait plus spécifiquement de la créativité architecturale, développement durable et qualité d’usage, posant les questions suivantes, entre autres : «A l’heure où la Cité internationale lance de nouvelles constructions – Maison de la Région Ile-de-France, extension de la Maison de l’Inde – quel est son potentiel en matière de créativité architecturale, développement durable et qualité d’usage? La réglementation et les contraintes inhérentes au logement étudiant permettent-elles de poursuivre l’histoire innovante de la Cité internationale et de lui conserver sa place de haut lieu de l’architecture parisienne? »
Mais la question lancinante qui reviendra constamment au cours de la journée est celle de l’économie du logement étudiant. Cette question de l’économie ne se pose bien sûr pas seulement pour le logement étudiant, mais pour tout projet architectural, quand on n’a pas les moyens des starchitectes ou des grands ouvrages. Laurent Geninasca, qui s’exprimera à ce sujet lors du Premier colloque d’Architecture émotionnelle, répond à cette question par cette formule qui fera date : «Le seul luxe nécessaire est celui du temps de la réflexion». Le temps de la réflexion fut largement pris au cours de la journée du 5 novembre.
Deux présentations auront particulièrement retenu mon attention, dans une session modérée par Maria Gravari-Barbas, directrice notamment de la Fondation Hellé́nique à la Cité universitaire internationale. Gravari-Barbas nous assure que «le logement étudiant est un formidable laboratoire d’innovation, d’invention, d’une logistique de plus en plus sophistiquée et favorisant dans le même temps l’opportunité des rencontres : des petites machines ouvertes sur le monde». On veut bien la croire en examinant la Bikuben Student Residence de Copenhague ou Qubic de Amsterdam. Le bureau AART ARKITEKTER de Copenhague s’est donné comme mission de combiner le désir des étudiants de «privacy» et de vie communautaire dans le même lieu.
Selon AART ARKITEKTER, le sentiment de solitude est particulièrement délétère pour les étudiants. Et pour diminuer ce sentiment, la solution serait de « Make less space for loneliness » : minimiser l’espace privé, tout en le maintenant mais a minima («private when and only you wan to be private»), et en parallèle augmenter l’espace commun – et surtout mélanger les espace privés et les espaces communs voire publics – de manière à ce que les étudiants soient «obligés» de passer par des ères communes. Tout en respectant «le nirvana des étudiants», à savoir, tolérance, respect, empathie, interactions et connaissance (tout de même !).
Une autre formidable idée présentée par HVDN Architecture est celle d’un logement étudiant nomade, mobile. Construire en préfabriqué exclusivement, ce qui n’exclut pas la qualité (encore une fois, le temps de la réflexion y pourvoira !). L’idée est que le logement étudiant qui s’installe un jour sur tel terrain en friche, demain déménagera sur d’autres terrains, entrainant avec lui tout un système itinérant d’activation de la ville : qui dit logement étudiant dit aussi cafés, restaurants, magasins, services multimédia, blanchisseries… Quand on transforme un espace urbain en friche en un espace habité - par exemple - par les étudiants, cela active la Cité, génère plein d’activités, dans une vraie «logique de chantier».
Réellement, comme le dit Maria Gravari-Barbas, le logement étudiant est un formidable laboratoire d’innovation et d’invention. Inventons nous aussi !
Publié dans les Quotidiennes, le 5 novembre 2010
lundi 1 novembre 2010
La preuve par la Belgique
Alors imaginez un instant qu’en France on décide de supprimer le gouvernement central et centralisateur – voilà bien une abyssale source d’économies : de quoi financer les retraites, les hôpitaux, les universités, l’enseignement et la culture. La France qui a dévelopé ces dernières années ses gouvernements régionaux pourrait parfaitement fonctionner sur cette base. Alors mes amis français me rétorquent, mais non ce n’est pas possible, les Français ont besoin d’être « menés », ils élisent toujours celui, non pas qui est le plus intelligent ou le plus compétent, mais qui a la plus grande g… Mais est-ce si vrai encore ? Ne serait-ce pas, au contraire, là justement que se niche la grande lassitude des Français, d’être conduits par de beaux parleurs qu’ils ont élu malgré eux et dont ils doivent subir la parole sans effets ? N’est-ce pas cela justement, la grande lassitude des Français, que de voir cet immense appareil inutile consommer une si grande partie de leurs ressources sans réaliser l’importance fondamentale des questions « du terrain » - du terrain de vie donc ? Toutes ces questions que les gouvernements locaux et régionaux connaissent si bien et essayent de résoudre de manière pragmatique – la seule qui vaille finalement – mais en se heurtant trop souvent à la politique centrale. Oui, n’est-ce pas là justement, la plus grande lassitude française, celle qui explique les grèves, et leur acceptation aussi, par le plus grand nombre de citoyens de ce pays ?
Alors d’autres amis français, préoccupés avant tout de culture – et dieu sait qu’elle est magnifique en ce pays – me disent, mais alors, comment vivrait la culture dans les régions ? Elle vivrait très bien, par elle-même, elle se fédérerait spontanément pour réaliser les aspirations des artistes, des étudiants, des intellectuels et des autres, elle se laisserait davantage guider par les mouvances locales que par les désirs et décisions encore une fois top-down qui tentent de guider la culture des régions. La puissance culturelle française est partout, de Calais à Metz, de Marseille à Lyon… et à Paris bien sûr ! A-t-elle vraiment besoin d’être centralisée et gouvernée ? Rien n’est moins sûr.
Et en Suisse ? Imaginez un instant que notre pays, qui si souvent se pose en exemple à la Belgique, prenne soudain exemple sur elle, suive le même chemin et décide d’affaiblir jusqu’à l’inexistence le gouvernement central. Tous les fonctionnaires centraux mis au chômage technique seraient rapidement réengagés dans les économies régionales florissantes et solidaires. Nous ne garderions qu’un département des affaires étrangères qui serait alors renforcé - car oui évidemment, les relations étrangères doivent être fortes pour pouvoir faire passer aux pays partenaires le message que le pays existe ! Peut-être le seul souci de la Belgique en ce moment, c’est qu’elle ne semble pas à même de faire passer ce message, oui la Belgique existe et se porte même très bien !
Cette Belgique qui revisite allégrement la théorie libérale et fédéraliste qui dans sa pureté donne l’essentiel des pouvoirs aux régions. Vite, saisissons cette chance de modèle expérimental qu’elle représente en ce moment, et étudions-le sérieusement, pour pouvoir nous en inspirer au mieux. Et félicitons les Belges pour leur pragmatisme plutôt que de hocher la tête en nous demandant, mais existe-t-il encore ce pays – comme si nous étions tous convaincus qu’un pays n’existe que par son gouvernement central ! Et qu’à notre suite, même le Président Obama et tous les Américains avec lui, ceux de l’Arkansas ou du Dakota Nord, ceux de l’Indiana et de la lointaine Caroline du Sud, à leur tour revalorisent les gouvernements locaux et affaiblissent leur gouvernement central, notamment dans son hypertrophie sécuritaire absurde, pour traiter les vraies questions du terrain – en ce moment, celle de la pauvreté menaçante avant tout, une question qui ne se traite jamais par la dissimulation.
Publié dans l'Agefi, le 1er novembre 2010
Barbara Polla interviewée par arsbrevisvitalonga, encore une histoire de corset
On connaissait les business angels, vous étiez Fashion Angel pour le défilé de la HEAD. Quelles sont les similarités, les différences entre ces deux rôles?
Les deux sont aussi différents et similaires que le business et la mode…
Qu’est-ce qui vous stimule le plus dans la mode? Les vêtements ou les créateurs? Pourquoi?
Les créateurs – parce que depuis toujours, je me passionne pour le processus créatif encore plus que pour le produit de la création.
Quel est les vêtements qui restent à inventer?
Un corset que nous porterions par dessus nos vêtements d’aujourd’hui.
Quel rapport entretenez-vous avec vos vêtements? Ce rapport est-il me même que celui que vous entretenez avec vos chaussures?
Je suis très soigneuse avec mes vêtements, je les porte très longtemps, puis je les range au grenier, et parfois je retourne ensuite y faire des courses…
Alors que mes chaussures je les mets, je marche, puis ciao !
L’essentiel, c’est qu’elles doivent être confortables, même celles à talon très haut, avec une grand préférence pour les bottines ou les chaussures avec des attaches sur les chevilles.
Donnez-vous vos vêtements, chaussures? Les jetez vous? Si oui/non pourquoi, à qui?
Je donne mes vêtements à mes filles en premier lieu, j’organise des “marchés collector vintage”, je vide le grenier, je mets tout dans mon bureau, elles choisissent…
Si vous ne deviez retenir qu’un seul nom de couturier, de qui s’agirait-il et pourquoi ?
Kris Van Assche – qui d’autre vraiment ?
Crash - Octobre 2010
Les oeuvres comme des individus : il faut dormir avec elles
Il a été directeur de nombreux musées, il est toujours un grand amant de l’art. Un grand amant de l’art, et un grand homme. "Monsieur Ammann ? Oui c’est là, par ici, entrez, oui, Monsieur Ammann, au deuxième étage - il ne répond pas ? Je vais l’appeler..." tout le monde le connaît dans le quartier. Il finit par m’ouvrir la porte, nus pieds et en peignoir, ce samedi matin en plein été, dans un quartier périphérique de Frankfort. Les artistes lui reconnaissent sa grandeur et lui retournent leur amitié: les murs de son appartement sont entièrement tapissés de cadeaux, de bas en haut et de gauche à droite et A Jean-Christophe Amman est inscrit autant de fois qu’il y a d’oeuvres. Jean-Christophe Ammann est un homme généreux : il sait recevoir. Je resterai jusqu’au soir, pour le laisser ensuite, dormir avec ses oeuvres, comme chaque nuit.
Ammann est le seul commissaire d’exposition à dormir sur un lit de camp dans les salles de musée pendant l’installation de ses expositions. Au réveil, le regard est innocent : il faut se réveiller avec les oeuvres pour vérifier si "elles tiennent", si elles sont bien agencées, si la scénographie choisie respecte et sublime l’émotion. "Dormir avec les oeuvres, c’est très intime et personnel : une oeuvre, ce n’est pas seulement du matériel, c’est un grenier, un récipient d’énergie qui rayonne la nuit aussi et je voulais dans me rêves goûter subir et transformer les énergies émanant des oeuvres." Ce seront alors les oeuvres elles-mêmes qui décideront de la nécessaire distance entre elles pour que le dialogue s’instaure. Il faut donner de l’espace aux oeuvres. Il faut les traiter comme des individus. Comme des corps.
Le corps, cosmique et anti-idéologique
Pour Ammann, depuis toujours, le corps est au centre. Il est cosmique, nécessaire, essentiel et unique : si je fais un nu de toi, me dit-il en me dévisageant et en me tutoyant déjà puisque me voilà individuée, je trouve une forme unique : ce corps que tu habites, en exclusivité, toute ta vie, sans être capable de le partager. Ce corps fondateur de toute notre culture et de notre tradition occidentales : le corps toujours, essence même de l’art, mémoire collective occidentale. Mais pas n’importe quel corps : le corps crucifié qui porte depuis des siècles le quatuor, le quadrilatère, qui a fait l’Occident : jouissance, souffrance, extase et ascèse. Le quatuor du corps crucifié nous joue la musique du désir.
La négation du corps est de fait la négation du désir, la négation de la vie, un tribut à la mort. Absurde, pour Amman. Il s’énerve, déambule, tire sur sa pipe, s’enroule dans la fumée. "La confrontation entre l’islam et le monde occidental se joue, entre autres, autour du corps : désormais, les organisateurs de biennales du monde entier, dans un souci de politiquement correct qui n’est rien d’autre qu’une soumission aux idéologies dominantes, minutieusement évitent cet élément fondateur de la culture occidentale qu’est le corps. Je critique la globalisation dans l’art parce qu’elle amène la plupart des acteurs de l’art à renoncer au corps. Le refus du corps est un tribut aux idéologies : les idéologies situent les idées au-dessus des individus ; le corps, lui, est vie, désir, anarchie, et toujours anti-idéologique." Par contraste, la religion chrétienne ouvre la porte à l’apprentissage du "moi" et l’individuation y est fondamentale : "tu quitteras ton père et ta mère". Tu aimeras ton prochain comme toi-même, comme un corps, comme un individu. Certes, la communauté offre des avantages sociaux... mais l’unification communautaire est mortifère. Elisons le morcellement, l’individuation, le corps !
Une immense faim de femmes
Le corps, le sien, vit dans la rencontre de l’autre. Ammann ne s’en est pas lassé : "j’ai une immense faim de femmes, que l’art a encore aiguisée". Sa dernière exposition au Centre Culturel suisse à Paris, A rebours, est une grâce rendue au corps de la femme, à son intimité et ses transformations, un émerveillement, un témoin de cette faim pour toujours inassouvie. "Faire l’amour avec une femme, cela peut être interminable. On évolue dans la façon de faire l’amour - jeune homme je n’étais pas qualifié et j’avais trop de pression, il fallait que ça gicle - mais avec l’âge on développe un sixième sens, mais c’est seulement vers l’âge quarante ans que je suis devenu capable de me donner à une femme. C’est extraordinaire de faire l’amour pendant quatre heures au lieu de dix minutes, le luxe c’est d’avoir le temps... Faire l’amour avec une femme, cela peut être interminable. La femme est un mystère, elle est l’attraction éternelle... Il faut vous engloutir". Immense sourire.
Et Ammann esquisse un pas de danse et se met à chanter : Etoile des neiges, Mon coeur amoureux... Oui, nous sommes en plein mois d’août et Jean-Christophe Ammann que je rencontre pour la première fois me chante Etoile des Neiges... Il chante juste. Tout chante juste en cet homme. Et il m’explique encore que le psychanalyste Wilhelm Reich avait raison : l’orgasme a surpassé le big bang. Et que pendant ses dix dernières années de vie, tout le travail de Picasso est une ode au désespoir extraordinaire de ne plus être capable de bander. Une ode au voyeurisme : l’image devient le substitut. Toute la production artistique vient de là : être dans l’image comme substitut au faire. Quant elle est "bonne", l’image acquiert une corporalité et génère la présence de celui qui la regarde à l’intérieur d’elle-même.
Le corps masculin aussi, ou plutôt, son sexe, et son visage...
Au-dessus de nous, entouré de dizaines d’autres toiles, un grand Lucian Freud : l’homme est nu. Son sexe est beau. Et pourtant, pour Ammann - pour les hommes ? - le sexe masculin n’a de physionomie que quand il est en érection. Et de revenir sur l’exposition de Toscani, à la Biennale de Venise : gros plans sur des dizaines de sexe. Mais on ne regardait plus les sexes - ils n’étaient après tout que signes de sexes, comme dans la statuaire classique - on regardait l’ossature. C’est elle qui redonnait l’individualité.
Mais où sont, dans l’art, les sexes en érection ? Nous nous étonnons, ensemble, que les femmes ne glorifient pas, dans l’art, la beauté du sexe masculin en érection. Et pourtant la seule façon de se glorifier c’est de glorifier l’autre... Mais la gloire du sexe en érection est à chercher ailleurs. Le plus souvent, dans l’érotisme homosexuel. Au Centre Culturel Suisse, Ammann présentait ainsi, de l’artiste suisse Christoph Wachter, une série de dessins minuscules, noirs, puissamment érotiques. Ce format minuscule, conséquence d’une tension entre le faire et la culpabilité de l’avoir fait, éatit aussi, pour le spectateur, une discrétion, une solitude, un appel au regard de près, l'absence de partage avec un autre regardeur.
Et le visage ? Jean-Christophe Amman voulait devenir médecin. Ou plus exactement, chirurgien. "J’avais cette idée en tête depuis très longtemps, depuis que j’avais vu un livre sur les gueules cassées de la première guerre mondiale. Il me fallait absolument trouver un moyen de réparer ces visages. Le visage est le centre du corps. Je me suis dit que j’allais devenir chirurgien plasticien. Finalement j’aurai réparé les visages par l’image seulement. Mais être historien de l’art, c’est aussi servir la communauté. Pour servir, il faut le plaisir. Il faut avoir un plaisir fou pour savoir le transmettre..."
L’art comme poétique
Ah, encore, la fonction de l’art ? Kunst als Aufklährung, ça c’est fini, obsolète, on oublie. L’art désormais, une poétique. Autour du corps : le corps nu, et, au coeur du corps, la colonne vertébrale. La colonne vertébrale, c'est la poésie. Contemporain ne veut pas dire d’aujourd’hui : non, c’est ce qui a travers sa poésie a une présence contemporaine Il y avait une époque où les artistes donnaient la direction générale - aujourd’hui ce n’est plus le cas. Les curateurs de la globalisation cherchent certes à remplacer les artistes, à donner cette direction générale en imposant leurs choix qui le plus souvent sont scolaires et sans rapport avec la réalité de la création. Dans cette réalité, la dispersion est incroyable, il n’y a plus de tendance plus d’avant-garde et rien n’est à venir. C’est difficile à comprendre, il faut admettre que tout nous échappe... Mais c’est la vie et c’est tant mieux : chaque artiste dans le monde devient un univers parallèle. La fonction de l’artiste ? Celle d’un chercheur de soi même dans une conscience contemporaine - forschen nach dem Selbst. Le soi n’existe pas en tant que tel, c’est une fonction, et plus on travaille sur soi plus ça devient mystérieux et gigantesque.
Le futur ? Il est ouvert ! A mon âge, qui n’est pas un âge, le futur c’est la curiosité. Je suis extrêmement curieux de ce que les artistes créeront aujourd’hui, demain, après-demain. Je veux voir et voir encore, écouter les artistes, comprendre la pensée de la jeune génération, rêver dans leurs studios : je suis un troupier qui s’enrichit à leur contact. J’ai besoin du sang des autres pour me nourrir...